Réponse ou plutôt réaction à l’article de Michaël Sens “Suis-je donc un islamo-gauchiste ?“
Cher Michaël,
Au premier abord, j’ai trouvé que le fond de l’article participait trop de la tentative d’imposition de la doxa gauchiste en question, défendue par Plenel et consorts. Non que je rejette tout ce que Plenel-et-consorts peuvent défendre ou attaquer – ils font souvent oeuvre de salubrité publique en remuant le nauséabond qu’en tout état de cause eux n’ont pas créé – mais toute montée au créneau au profit du ragoût anti-universaliste et sous prétexte d’un pseudo-démocratique droit à la différence me gène aux entournures. Revenons à ton texte. Plusieurs de tes phrases me font réagir. Je te cite: ” J’ai cru qu’on pouvait regarder une femme voilée sans penser immédiatement qu’elle affiche sa soumission à la gente masculine la pire de l’hexagone : le barbu imbibé de versets subversifs… “
Attention aux injonctions sociales
Le problème, c’est que l’injonction sociale peut aussi être une aliénation. Tous nous sommes influencés, parfois même soumis aux règles explicites ou implicites de notre propre milieu. Il n’est pas nécessaire de relire le Discours sur la servitude volontaire ou faire du Bourdieu pur sucre pour l’admettre. On peut éclairer le sujet de plusieurs manières. Le voile que portent les jeunes filles est le signe qu’elles sont nubiles, donc mariables – quel que soit leur âge – donc objet de séduction et de désir. Si on met des lunettes un tant soit peu féministes, c’est une marque à l’attention des hommes. Foutre de quel droit ! En Iran, le voile “islamique” est une invention politique. Celui-ci ne préexistait pas avant la révolution islamique et fut imposé aux femmes pour asseoir une domination masculine bien pratique pour affermir à son tour le pouvoir politique d’une hiérarchie religieuse. On ne construit pas une dictature sur l’égalité.
Le voile est-il seulement un marqueur culturel ?
Si tu regardes le voile comme un marqueur culturel, il est alors pleinement légitime, à l’instar du chapeau melon ou du béret basque. Tradition culturelle que le voile était d’ailleurs, avant d’être imposé par les radicaux religieux. Au Maghreb, les femmes kabyles, bien que musulmanes, ne portaient pas de voile, ne le portent d’ailleurs encore que peu, en particulier dans les campagnes où elles ne sont pas déracinées de leur culture. Alors, que penser du voile dans nos sociétés démocratiques et sécularisées ? Légitimité du marqueur culturel, choisi consciemment ou à tout le moins peu ou pas aliénant, ou bien outil de domination de la moitié de la population et par conséquent ignoble ? Comme souvent, c’est l’intention qui compte, le cas par cas. Le bon sens doit primer dans l’appréciation d’un phénomène social qui navigue entre recherche de racines culturelles délaissées ou oubliées (” l’identité heureuse ” !) et une tentative d’aliénation que nous avons le devoir de combattre. Je ne ferai pas du Eric Ciotti ; il est bien évident que l’essentiel du phénomène est culturel, mais faisons attention aux dérives radicales.
Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde
Au “deuxième rabord” toutefois, la phrase ” J’ai cru qu’on devait faire la différence entre celui qui critique celui qui blasphème, et celui qui tue celui qui blasphème ” a trouvé quelque écho en moi. Tu as raison, fondamentalement raison. ” Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde “. Un critique n’est pas un blasphémateur, un assassin est un assassin. Le critique comme le blasphémateur ont droit de cité, l’assassin est jugé. Enfin, dans ta démonstration ironique bien amenée par antiphrases, tu omets de rappeler que des lois (et combien légitimes elles aussi !) existent contre l’incitation à la haine raciale et la dissémination des idées qui attentent à la dignité humaine. Il est des ” opinions ” – et pas que des actions – dont l’expression tombe sous le coup de la loi. Et on peut la changer quand on la trouve inadaptée, qu’elle nous paraît injuste dans une société qui évolue. C’est un privilège rare de par le monde. Cette complexité n’apparaît pas dans ta diatribe. Mais tu me diras, c’est le jeu d’un article polémique dont le projet est sans conteste honorable… et salubre.
Eric Desordre