Je m’inquiète. Je croyais que dans mon pays, n’importe qui pouvait pratiquer sa religion, porter sa croix, mettre son turban ou sa kippa dans la rue, son voile ou tout autre attribut religieux ou pas. Mais depuis quelques jours, je me demande si ces pensées qui m’habitaient ne sont pas le signe d’une maladie grave. Ne serais-je pas devenu un islamo-gauchiste ?
C’est sûr, il me reste quand même de bonnes pensées : je crois toujours qu’on n’a pas le droit de décapiter les gens, ni d’user de violence gratuite contre son prochain au nom de la religion, ou au nom de la politique, ni au nom de n’importe quoi d’ailleurs. Alors ça va ? Pas sûr, parce que je croyais aussi que nous avions des lois pour cela, un code pénal, des services de renseignement compétents, une police pour faire respecter la loi, et que si ces derniers avaient du mal, ce qui peut se comprendre, on devait se poser la question de comment augmenter leur efficacité.
Pire, je croyais que les parents avaient le droit d’élever leurs enfants dans la religion de leur choix. Bien sûr, je ne croyais pas qu’ils pouvaient maltraiter leurs enfants s’ils ne respectaient pas la religion de leurs parents ou leur mettre une taloche quand ils allaient fricoter avec un fils de mécréant, mais quand même, j’imaginais que les enfants de cathos pouvaient aller au catéchisme, que les enfants de musulmans pouvaient étudier le Coran, les enfants de juifs pouvaient étudier la Torah, les enfants de bouddhistes le Dhammapada, etc. A la vérité, ça ne me dérangerait pas que les enfants de juifs étudient le Coran et les enfants de musulmans la Torah, ou toute autre combinaison plus ou moins hétérodoxe. Mais quand-même, rendez-vous compte, je croyais qu’on faisait la différence entre un terroriste islamiste et un musulman rigoriste… Je me pose donc encore une fois la question : suis-je devenu un islamo-gauchiste ?
Je croyais même qu’on pouvait être con et refuser de serrer la main à une femme, ou à un homme pour des raisons religieuses. Le droit d’être con me semblait un droit incontournable, tant son absence ferait courir le monde à sa perte et remplirait les prisons en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
Je croyais que Robert Badinter, que j’aime bien parce qu’il a aboli la peine de mort (c’est une bonne pensée ça ? Je ne sais plus…), avait demandé à ce qu’on ne se déchire pas il y a quelques jours, et tout à coup je vois Élisabeth Badinter, son épouse, qui déclare « ça ne peut plus se régler dans le pacifisme ». Je doute… Ne devrais-je pas souscrire à cette vision guerrière, et cesser de vouloir faire la différence entre un criminel terroriste plus ou moins musulman et un musulman qui défend une vision politique de l’Islam ?
Je croyais que la religion du criminel, on s’en foutait. Ce qui comptait, c’était qu’il était un criminel. Je croyais qu’on avait le droit de critiquer les lois de la république. Je croyais qu’on avait le droit d’avoir une foi, même très rigoriste, qu’on avait le droit de se faire moine, qu’on avait le droit de se séparer des autres, qu’on avait le droit de penser que la démocratie c’est nul, qu’on avait le droit d’imaginer ou de croire à une puissance supérieure qui transcendait les lois de la République, du moment qu’on ne devenait pas un criminel et qu’on ne violait pas ces lois. Quel naïf, me dis-je aujourd’hui.
Ce qui me rassure, c’est que je crois aussi au droit de blasphémer. Bon, pas au devoir de blasphémer… Moi par exemple je ne blasphème pas trop. Ai-je tort ? Suis-je un lâche ? Est-ce un signe supplémentaire de mon islamisme-gaucho ? Diantre ! Erdogan a tort, ce n’est pas Macron qui doit consulter. C’est moi, c’est sûr !
Bien-sûr, je ne suis pas de gauche. Et pour dire vrai, je n’aime pas plus l’islam que le catholicisme. Alors comment ai-je pu être contaminé par ce virus qui de nos jours fait concurrence au fameux Covid, béni soit-Il ? Eh bien, je crois qu’il me faille admettre que j’ai une pensée déviante. Pourtant je pense généralement droit… Mais pas forcément dans le bon sens. Enfin, pas dans le sens du vent. Pas toujours. Du coup j’ai chopé le VIG 20 (Virus Islamo-gauchiste 2020). Ca m’emmerde, parce que je risque de me retrouver en réanimation aux cotés de Mélenchon et Plenel. Mais je ne serai pas le seul. Nous sommes beaucoup à l’avoir attrapé. Il parait même qu’il y avait un cluster à l’Observatoire de la laïcité. On ne sait pas qui était le cas numéro 1, Bianco ou Cadène, mais c’est sûr que les deux sont atteints, une source proche de Matignon l’a dit.
Vous rendez-vous compte ? J’ai cru qu’on pouvait vivre ensemble avec chacun ses idées, chacun sa foi, chacun ses cons. J’ai cru qu’on pouvait regarder une femme voilée sans penser immédiatement qu’elle affiche sa soumission à la gente masculine la pire de l’hexagone : le barbu imbibé de versets subversifs (bien pire que le beauf imbibé d’alcool). J’ai cru qu’en échange du droit de blasphème, on avait le droit de critiquer ceux qui blasphèment à outrance. J’ai cru qu’on devait faire la différence entre celui qui critique celui qui blasphème, et celui qui tue celui qui blasphème. Mais il semble que j’errais lamentablement. En fait c’est pareil.
Je croyais même que cette vision idyllique d’un monde où l’on pouvait vivre ensemble (l’emploi de ces deux mots l’un à coté de l’autre est bien le signe de la maladie) avec chacun nos croix, nos foulards, nos sectes, n’était pas un obstacle à l’état de droit, ni à l’idée que l’emploi de la force était légitime pour arrêter les assassins. Je croyais aussi qu’une secte adoratrice de la vierge ou de quoi que ce soit, c’était peut-être différent d’Al-Qaïda. J’errais lamentablement. En fait c’est pareil.
Amis islamo-gauchistes, qui d’ailleurs n’êtes pas toujours mes amis, réveillez-vous ! C’est pareil, c’est pareil, c’est pareil ! Quoi me direz-vous ? Tout ! C’est une source proche de Matignon qui l’a dit, et l’opposition est d’accord, comme le sont les gauchos pas islamistes (je crois que gaucho tout court c’est pas grave … C’est une maladie bénigne du cheval argentin). Cessez de vous voiler la face, l’islam est dangereux, les religions sont dangereuses, le voile c’est dangereux, les sectes c’est dangereux, et la politique c’est uniquement pour les républicains (de gauche ou de droite) élus au parlement ou nommés au gouvernement. Et ce dont le monde a besoin aujourd’hui, c’est… Mince je sais plus. J’allais dire, d’amour et d’intelligence. Quelle poisse ce virus !