Sous la désignation de « Rose-Croix », étrangement se retrouvent différents groupes (ou clubs) de la mouvance « illuministe », d’une part et, d’autre part, un Haut Grade de la maçonnerie, au R.E.A.A (Rite Écossais Ancien et Accepté) notamment, le 18 e degré.
Certes, les points de convergence entre ces deux ailes symboliques de la Rose (rouge comme le sang humain donné pour sauver toute la mise du monde) et de la Croix (celle du Christ crucifié, le Sauveur du monde) sont historiquement et mythologiquement indéniables. Et, dans le cas de l’histoire de la Rose-Croix depuis le xvi e siècle, il est bien difficile de savoir si par le trait d’union des Templiers, ou non, c’est la Rose-Croix qui a emprunté à la maçonnerie opérative et/ ou spéculative, ou l’inverse… Qui peut sérieusement affirmer la date d’origine de la rencontre de ces deux courants spirituels qui ont fait couler tant de sang rouge et ériger tant de croix sur les multiples calvaires du monde ? Une chose semble pourtant évidente : le symbolisme rosicrucien est mystique et Un. Sa tolérance bienveillante est partie prenante de son éthique. D’ailleurs, les plus grands philosophes sont concernés par cette quête de fraternité universelle et ce réflexe d’entraide qui nous unit tous et chacun. Et nul besoin de s’appeler Paul Arnold pour affirmer que les Roses-Croix de toutes les obédiences maçonniques d’aujourd’hui se reconnaissent tous sans exception sous le règne d’une même mentalité prônant l’ouverture du cœur, et au nom d’une même orientation des mêmes recherches métaphysiques et alchimiques ! D’où qu’ils proviennent ou d’où qu’ils disent provenir, avec les rosicruciens, il y a toujours de la philo-sophie dans l’air ! N’oublions pas que le mot philosophie est un mot d’origine grecque, il vient de philosophia et se décompose en : philo, du verbe philien, d’une part, qui signifie aimer, chercher, et de Sophie, la Connaissance, le Savoir, la Sagesse.
Et ça n’est par hasard si de nombreux grands philosophes de la pensée humaine, laissèrent sous-entendre qu’il faisait partie du vaste Cercle des R-C ! Ou qu’ils aspiraient à y entrer, ou à faire penser qu’ils en faisaient partie, en quelque sorte !
Au dix-septième siècle et surtout aux dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles, on peut ainsi remarquer Francis Bacon, Goethe, René Descartes et Leibniz, le pasteur luthérien Comenius, précurseur de l’UNESCO, mais aussi Spinoza et Newton, sans oublier Jacob Boehme, et même, peut-être Napoléon-Bonaparte lui-même, le poète irlandais Yeats et le poète français Saint-Pol Roux, et bien d’autres encore !
Le mythe parfois semble davantage porteur d’héritages spirituels que la réalité généalogique si difficile à capter. Le mythe d’Hiram est commun à la Rose-Croix et à la maçonnerie spéculative. Je ne suis pas Roger Dachez pour trancher et savoir de qui l’une a le plus emprunté à l’autre, sous l’œil ô combien énigmatique des Templiers après leur persécution.
Rien sans le secours des autres
À l’ombre de la Rose et de la Croix, il y a un « état d’esprit » puisque « l’homme ne peut rien sans le secours des autres » comme le proclame un merveilleux rituel cherchant une voie dans la même vallée de la vie précaire.
En fait, la fièvre spirituelle de la Rose-Croix est ce qui inspire une confrérie utopique et mythique tout à la fois, née au début du xvii e siècle. Celle-ci s’enracine sur plusieurs textes, ou manifestes. D’abord, une biographie d’un certain héros fictif, le « très louable » Christian Rosenkreutz, qui aurait vécu une enfance studieuse, aurait été un voyageur impénitent (d’Orient en Arabie, sans oublier l’Égypte et l’Espagne, avant de revenir en Allemagne pour y mourir à 106 ans !).
Ensuite, un « manifeste », en 1614, intitulé « Échos de la fraternité du très louable Ordre de la Rose-Croix »… Enfin, un second manifeste titré « Confession de l’insigne Confrérie du Très Honoré Rose-Croix, à l’adresse des hommes de Science de l’Europe ». Sans omettre un troisième « manifeste » qui raconte « les noces chimiques de Christian Rose-Croix en l’année 1549, dans un château féérique où l’alchimie règne »… Tous ces manifestes fondateurs sont attribués au pasteur et théologien luthérien Jean Valentin Andrea (de Tübigen), né en 1586, et inspiré de Campanella et même de l’utopiste Thomas More.
Éclairage de Marie-Magdeleine Davy
Humblement, je l’avoue : j’ai toujours été très passionné par les objectifs des confréries de la Rose-Croix. Chemin faisant, lors des périples de ma vie d’aventurier spirituel, ce fut au 23 rue Racine, à Paris, au dernier étage sans ascenseur, dans le minuscule appartement enfumé et en désordre de l’érudite médiévale Marie-Madeleine Davy qui devint ma guide et mon gourou en spiritualité, que l’interpellant : « Dites-moi donc, qu’est-ce que l’état de Rose-Croix ? », celle-ci me répondit comme une évidence : « L’état de Rose-Croix rejoint une Sagesse et une largeur spirituelle, une intuition numineuse, un Souffle prônant, au bout du compte, un syncrétisme religieux vers lequel nous tendons tous plus ou moins. »
Telle était la conviction profonde de M.M. Davy qui, non seulement admirait l’inspiration Rose-Croix, mais encore la considérait comme un support de méditation spirituelle visant un élan de rapprochement homéopathique de toutes les religions monothéistes de la planète dans le futur. Évidemment, ce point de vue est audacieux, mais nullement gratuit à long terme, puisque la mystique Rose-Croix n’hésite pas à se donner un objectif universel de réconciliation dans la Lumière commune du Sacré. Certes, tout cela ressemble parfois à une sorte d’usine à gaz pseudo historique !
On sait ainsi qu’en 1622, des affiches apparurent sur les murs de Paris et informèrent la population de demandes d’affiliation à l’Ordre Rose Croix. En fait, les idées rosicruciennes mirent du temps à prendre corps, avant même leur infiltration dans la F-M spéculative notamment. Puis la R-C revint en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, à Vienne, en territoire anglais.
Ainsi, en 1747, la R-C dite d’Or fondée par Herman Fictuld, substitua l’ésotérisme chrétien à la veine alchimique. Au xviii e siècle, en France, Martinès de Pasqually, Jean-Baptiste Willermoz, Claude de Saint Martin puisérent eux aussi beaucoup dans les idées rosicruciennes de rapprochement fraternel.
Chez les élus Coëns de l’Univers, on s’opposa au Grand Orient qui avait abandonné en 1877 dans son rituel l’exhortation de départ au GADLU. Eliphas Lévi et Stanislas de Guaïta et le Dct Gérard d’Encausse, alias Papus, et Saint-Yves d’Alveydre, représentèrent en France l’Union des forces spiritualistes. Au xix e siècle, on était volontiers à la fois
maçon et on se réclamait de la R-C. D’autres écrivains occultistes, hauts en couleurs romantiques, comme Joséphin Péladan, prônèrent une R-C Catholique qui trouva son prolongement logique avec Oswald Wirth et René Guénon même, mais en liaison avec la F-M spéculative du temps.
On le comprend, les courants de la Rose-Croix et de la franc-maçonnerie ne s’ignorèrent jamais vraiment. Ils formèrent un creuset d’inspiration, parfois spiritualiste, parfois farfelu, d’où émergèrent aussi bien des escrocs que des êtres de Lumière ! D’ailleurs le fameux Elias Ashmole (1617-1692) lui-même, dès le dix-septième siècle, organisateur et théoricien de la F-M spéculative, se déclarait un défenseur acharné des Roses-Croix… Goethe (mort en 1832), quant à lui, concluait un poème émouvant par deux vers : La Croix est enlacée étroitement de roses./Qui donc a marié des Roses à la Croix ? Pour résumer, je dirai que si trop de précisions historiques affaiblissent la puissance du mythe, un trop-plein de mythes appelé à la rescousse, tue l’Histoire. Alors, laissez-moi souhaiter que l’Espérance nous guide tous ensemble dans notre permanent tournoi de vivre. Ma conviction est que tout se passera bien dans ce vingt-et-unième siècle si c’est toujours l’Esprit qui précède la Lettre, puisque la prière (comme la beauté) sauve aussi le monde !
Jean-Luc Maxence