Religion nouvelle et conséquemment controversée, la scientologie est aujourd’hui l’objet de nombreuses études universitaires, et ce dans plusieurs disciplines qui bien souvent se chevauchent : sociologie des religions, histoire des religions, religions comparées, droit des religions, etc. Difficile à classer puisqu’elle n’est pas une secte, c’est-à-dire qu’elle n’est pas issue de la scission au sein d’une religion préexistante, d’un courant de croyance différent, mais qu’elle est une totalité religieuse fondée au xx e siècle. Sa place au sein du paysage religieux mondial a piqué la curiosité des scientifiques, et ces derniers l’ont regardée à travers divers prismes, pour tenter de la ranger dans les cases complexes de l’extrême diversité de la spiritualité humaine. Plusieurs, et pas des moindres, y ont vu une religion moderne qui viendrait se ranger dans la grande tradition des religions gnostiques, la tradition de ce que l’on a appelé la gnose.
Comprendre la scientologie par la gnose
Le professeur Aldo Natale Terrin, ancien conférencier à l’Université catholique de Milan, prêtre catholique, enseignant actuellement la phénoménologie de la religion à l’Institut de liturgie pastorale de Padoue, écrit : « je crois que cette catégorie, la religion gnostique, issue de l’histoire des religions, nous offre la meilleure opportunité qui soit de mieux comprendre cette nouvelle Église. » La gnose est née au premier siècle après Jésus-Christ, fortement inspirée par la philosophie grecque (pythagoricienne et platonicienne principalement) et les religions orientales. La gnose chrétienne, dont on a appris beaucoup depuis 1945 suite à la découverte d’une bibliothèque de manuscrits gnostiques à Nag’Hammadi en Égypte, contient les principes suivants : l’âme préexiste à la naissance et survit à la mort. La lumière divine est en vous. Le règne de Dieu est parmi nous, maintenant. Le salut est atteint par une révolution intérieure, pas dans une éventuelle résurrection future. Le gnostique peut se rapprocher du divin et atteindre son salut spirituel sans élément de médiation entre lui et Dieu. L’objectif de la gnose est de se libérer des passions terrestres, qui emprisonnent l’esprit dans un monde d’illusions. L’humanité se trouve dans un profond sommeil causé par l’ignorance. Elle a perdu quelque chose d’essentiel en abandonnant le pouvoir spirituel attaché à la conscience de soi, même si une particule divine demeure malgré tout vivante en l’homme. La seule chance d’éveil passe par la connaissance. Le principal objectif dans cette situation de servitude, c’est l’acquisition de la connaissance afin de libérer l’homme intérieur des liens de l’ignorance, lui permettant ainsi de retrouver sa nature et son royaume divins. Pour Terrin : « La scientologie représente un savoir qui transforme le monde, voire qui le transcende. […] En scientologie, la connaissance est la clef de tout, le premier principe du progrès spirituel. C’est la voie dans la bonne direction pour atteindre la liberté de l’esprit. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Je répondrais que le “savoir comment savoir” rejoint ces autres questions que l’on se pose dans la religion gnostique : “comment se libérer de la matière ?”, “comment inventer la nouvelle réalité et la nouvelle liberté ?”, ou encore “comment sortir de l’illusion cosmique ?”, en des termes peu différents des questions existentielles propres au gnosticisme. »
Une religion fondée sur des axiomes
Avant lui, l’auteur du célèbre Dictionnaire Américain des Religions, le professeur Gordon Melton, avait déjà placé la scientologie dans la catégorie des religions gnostiques : « Le livre de Hubbard “Les Facteurs”, est une nouvelle assertion des anciens mythes gnostiques ». Il y a effectivement dans la scientologie une quête de savoir libérateur, une volonté de transcender les conséquences d’une « chute spirituelle » qui a rendu l’esprit prisonnier de ses propres pièges, qui ne peut que faire penser aux velléités des anciens gnostiques. Certes la scientologie est une religion du xx e siècle. Sa quête de connaissance passe donc nécessairement par d’autres outils que ceux qui existaient dans la Grèce antique ou dans les premiers temps de l’ère chrétienne. Et c’est peut-être aussi pour ça que certains auteurs y voient un aboutissement, ou tout au moins une percée moderne surgissant de la longue tradition gnostique. Cette religion scientologue que le théologien Michel de Certeau appelait « un spiritualisme fondé sur un être infini », avant d’ajouter « j’ai admiré cette articulation entre des soucis éthiques, une recherche de sagesse et un apprentissage technique », est une religion fondée sur des nombreux axiomes qui se découvrent au sein des centaines de milliers de pages écrites par son fondateur. On trouve aussi nombre d’échelles issues de l’observation des phénomènes spirituels tels qu’elle existe en scientologie. L’une de ces échelles, publiée en 1954, est l’Échelle graduée de la connaissance :
– Connaissance pure qui n’est pas influencée par l’espace ou l’énergie
– Connaissance qui est déjà influencée et réduite par l’espace
– Connaissance qui est réduite par l’espace et l’énergie
– Connaissance qui a chuté au point d’être réduite à presque rien par l’existence continue de pratiquement aucun espace et de quantités d’énergie énormes (stupidité)
Lue de bas en haut, elle montre la voie du salut fondée sur la connaissance qu’emprunte l’esprit endormi lorsqu’il s’élève progressivement vers la liberté spirituelle totale. Lue de haut en bas, elle décrit finalement la chute que l’on retrouve dans les écrits gnostiques. Ce souci de classification et d’ordonnancement chez L. Ron Hubbard, et l’esprit d’ingénieur avec lequel il a conçu et communiqué la scientologie, en font certainement la plus codifiée de toutes les religions du monde. C’est ce qui faisait dire au professeur Laburthe Tolra, doyen de la Faculté des sciences humaines et sociales de la Sorbonne :
À examiner aussi bien la personnalité du fondateur que la forme de sa doctrine, il est également indubitable que l’on à faire à un prophète des temps modernes qui s’est montré capable de proposer une vaste synthèse originale répondant aux aspirations de l’homme actuel. Cette doctrine peut-être géniale mérite donc de la part de tout homme honnête la déférence et le respect.
Le philosophe Hans Jonas écrivait que « pour comprendre le gnosticisme, il nous faut quelque chose qui ressemble très fort à une oreille musicale ». Ça n’est pas le cas avec la scientologie. Pas à mon sens en tout cas. Pour comprendre la scientologie, il nous faut un esprit rationnel et scientifique, mais avec un zeste de liberté et d’ouverture qui était certainement celui qu’il fallait à l’ancien gnostique pour se plonger dans les mystères afin d’en ressortir avec une plus grande et profonde connaissance.
Scientologie, des principes novateurs sur le monde physique et spirituel
Le savoir gnostique ne peut être acquis uniquement par l’examen attentif du monde extérieur. De même, le savoir en scientologie s’acquiert comme une aptitude que l’on découvre en soi. Comme chez les gnostiques, ce savoir s’acquiert comme le résultat d’une expérience personnelle, ou le subjectif et l’objectif se rejoignent, mais qui nécessitent un vécu spirituel. En scientologie, les techniques pour parvenir à ce savoir sont codifiées. La gnose est une connaissance spirituelle. La scientologie mène à une connaissance spirituelle. Et dans les deux cas, la connaissance de soi est aussi la connaissance de Dieu. Dans son écrit La Scientologie : des affinités avec la religion gnostique et les religions orientales, Terrin terminait ainsi :
Il nous faut aujourd’hui retrouver plus d’équilibre, retrouver la voie du milieu, comme elle existe dans le bouddhisme. Si, comme nous le disent les spiritualistes, c’est l’idéologie matérialiste, dans ses aspects scientifique, mécaniste et technologique qui entrave l’esprit vivant, les matérialistes, eux, jettent le blâme sur l’obscurantisme théologique et mythique des spiritualistes, lequel aurait exorcisé le corps et la matière, rendant impossible l’identification de toute forme de vie dans le monde matériel. C’est toujours la même vieille lutte entre les sciences humaines et les sciences naturelles […]. C’est pourquoi une nouvelle médiation nous semble nécessaire, comme celle qui était déjà en existence et pratiquée à l’époque de l’ésotérisme et de la théosophie, mais qui a été perdue depuis. Les mondes séculiers et religieux ne s’opposent aucunement. Ils doivent au contraire œuvrer ensemble. Je pense que la scientologie, par ses principes novateurs sur le monde physique et spirituel, montre la direction que devraient peut-être prendre, ensemble, les religions et l’humanité.
L’histoire nous dira si Terrin aussi était un prophète.