L’Histoire s’écrit maintenant
L’économiste Daniel Cohen invite à une révision pédagogique de ce qui s’est passé depuis 50 ans dans l’économie et sur le plan social et culturel. Cette « chronique (fiévreuse) d’une mutation qui inquiète » apprend beaucoup à qui n’est pas historien ou économiste. Notamment parce que l’auteur évite de convoquer les cohortes de chiffres, courbes et autres projections dont les économistes usent et leur préfère des références à la vraie vie. À l’instar de cette mention du célèbre Times, they are a-changin de Bob Dylan (1964), dont l’auteur rappelle qu’il s’est soldé par de nombreuses désillusions. Au fil du cheminement qui structure l’ouvrage, des « mythologies modernes », aux « illusions perdues » en passant par la « génération iPhone », se dessine l’effondrement progressif de la société industrielle et l’absence d’un modèle de remplacement, par-delà les certitudes de la droite et les promesses de la gauche. L’économiste considère que l’espérance d’une société et d’une économie au sein desquelles « l’homme puisse s’occuper de l’homme lui-même, dans une société où le temps du travail serait dédié aux personnes plutôt qu’aux objets, dans la santé, l’éducation ou les loisirs », a été trahie. En fait, c’est une société digitale qu’on a laissé s’installer, dont on réalise progressivement, qu’à coup de logiciels, d’algorithmes, d’intelligence artificielle, elle s’instille dans tous les « pores de la vie » individuelle et collective. Cette dictature virtuelle impose de violentes ruptures des schémas traditionnels de la production et de la consommation et conduit au formatage des esprits.
Pour l’auteur, « l’espérance d’un avenir radieux a laissé place à la nostalgie d’un passé magnifié. Le populisme a remplacé le gauchisme comme porte-voix de la contestation. L’immense difficulté de la jeunesse à envisager l’avenir, son enfermement dans une espèce de présent perpétuel sont les symptômes des traumatismes accumulés au cours du dernier demi-siècle ». Daniel Cohen n’est pas le seul à poser ce constat. Mais, plutôt que de proposer son catalogue de propositions, il invite à s’interroger en profondeur sur « ces temps qui ont changé », rappelant que « l’histoire s’écrit maintenant, à condition de ne pas se tromper sur sa signification » et qu’il en va du « devenir de la civilisation ».
Patrick Boccard