C’est lors d’un hiver interminable, où la neige tombe sans discontinuer, que le spectateur va s’installer durant trois heures et vivre au même rythme que les trois protagonistes.
La longueur ou lenteur du film est ce qui frappe d’emblée ; et c’est une des signatures du réalisateur palmé en 2014 pour Winter Sleep.
Ce qui pourrait être un inconvénient s’avère nous rapprocher des tourments des personnages.
Samet est professeur de dessin dans un collège reculé d’Anatolie et nourrit l’ambition d’être muté à Istanbul. Il vit en colocation avec un collègue qui travaille dans le même collège que lui ; leurs rapports sont cordiaux, voire amicaux.
Enseignant malhabile et peu pédagogue, il s’égare dans les relations peu appropriées avec une de ses élèves en la gratifiant de cadeaux futiles. Suite à une fouille disciplinaire des cartables, ce cadeau et une lettre compromettante sont trouvés dans le cartable de l’élève et confisqués. S’ensuivent des plaintes au rectorat pour gestes déplacés. Ces faits nous sont présentés de façon neutre de telle sorte que nous nous doutons de l’origine des plaintes et nous interrogeons sur leur authenticité.
Toutefois cette intrigue ne constitue pas la teneur du film.
Samet convainc son colocataire de rencontrer une des collègues, professeur d’anglais. Sans se l’avouer, il chérit le rêve de vivre une histoire, mais la délègue à son colocataire Kenan, chez qui il attise la curiosité et l’engouement pour la jeune femme.
Nuray est une passionaria militante et engagée, revenue vivre chez ses parents ; une beauté écorchée vive qui mène sa vie dans une quête d’absolu qu’elle cherche inconsciemment chez l’autre. C’est lors d’un long dialogue inédit pour un spectateur parisien entre Nuray et Samet que nous plongeons dans les aspirations de Nuray. En effet, elle le mitraille de questions. La caméra cherche à percer ses pensées en se tenant juste à l’arrière, et si proche de sa tête. Nous sommes subjugués et nous nous demandons comment, à travers les détours de conversations à bâtons rompus chargés de philosophie légère, cette esquisse d’histoire d’amour s’orientera.
Nuray cherche en Samet un héros, elle n’y trouvera qu’une ambition accablée.
Dans les deux cas de figure, le personnage de Samet souhaite être reconnu et apprécié, mais sans compter sa jalousie et son cynisme qui se mettent en place et prennent de l’ampleur, mais de façon discrète, au cours du film.
Le réalisateur signe, encore une fois, ce qui lui tient à cœur : percer la psyché humaine, comprendre le monde, éveiller en chacun de nous cette ardeur enfouie qui nous pousse à vivre.
Alexandra Touitou Senechi