Trop souvent, les poètes morts récemment tiennent lieu pour les vivants de cartes de visite. Ainsi, les survivants tentent de s’assurer que celui qui reste est le meilleur dans la perspective d’affronter bien évidemment l’éternité espérée. Voilà l’écueil caché.
Or, en cette fin d’année 2017, la camarde s’est révélée experte et cruelle. À la suite d’un accident d’auto, Jean-Marie Berthier (1940-2017) nous a définitivement quittés. Un comble pour quelqu’un qui souffrit tant, en 1979, de la mort dans un drame de la circulation, de sa fille Mireille, à l’âge de treize ans, et, neuf années plus tard, en 1988, de celle de son fils Jean-Philippe, vingt-cinq ans, également à la suite d’une tragédie de la route ! Jean-Marie Berthier, qui fut un grand voyageur au cœur grand ouvert, un passionné de fraternité authentique, fut édité avec enthousiasme par plusieurs éditeurs passionnés après que Pierre Seghers salua son grand talent. Ainsi fut-il publié par Rougerie, Fanlac, MLD, Le Nouvel Athanor, Le Bruit des autres, et enfin, Bruno Doucey, d’ailleurs sous un titre dramatiquement suggestif : « Ne te retourne plus »…
Au fond, n’en déplaise aux « récupérateurs » experts de tous poils, l’important n’est pas de savoir si, oui ou non, un tel ou tel autre fut L’éditeur principal de Jean-Marie Berthier, mais bien plutôt pourquoi et comment son œuvre et son âme marquèrent et marqueront longtemps encore une époque surfant tant de fois sur la surface des choses, des sentiments, et des engagements politiques trop affichés pour être désintéressés…
Jean-Luc Sigaux, quant à lui, décédé à l’âge de 65 ans, fut toujours défendu et édité par Alain Breton, directeur de la Librairie-Galerie Racine située proche de l’Odéon. J’écrivis de lui, dans mon ouvrage général de critique paru chez Seghers en 2014 (1), qu’il fut un « mystique torturé » tentant de « marcher vers la lumière christique », alors que Jean-Marie Berthier réussit « un chant majeur de notre époque », incarnant le désespoir surmonté.
Disparu quelques mois avant Berthier et Sigaux, Michel Merlen (1940-2017), camarade de ma jeunesse peu sage, fut aussi, à mes yeux, un poète « borderline », révolté et rebelle, intrinsèquement original dans sa franchise dénonciatrice.
Au bout du compte, défendre et donner le goût de la poésie contemporaine pour insuffler l’espérance dans les poumons égoïstes de notre pays, ne saurait revenir à établir avec adresse et opportunisme de gros bottins de noms d’auteurs ! Il s’agit bien davantage de faire prendre l’incendie des mots qui changent la société, de ne jamais étiqueter pour se rassurer, mais bien plutôt de saluer et reconnaître les créateurs de même quête spirituelle, de saluer des connivences et de regrouper des visionnaires pour sauver le monde (2). Dans cette visée, Jean-Marie Berthier, Jean-Luc Sigaux et Michel Merlen sont des mousquetaires indispensables. Messieurs, chapeau bas !
Jean-Luc Maxence
(1) Jean-Luc Maxence, Au tournant du siècle Regard critique sur la poésie française contemporaine (Seghers, 2014).
(2) JEAN-MARIE BERTHIER, Phoenix n°25, Cahiers littéraires internationaux, articles de Karim De Broucker, Emmanuel Dall’Aglio & Jean-Marie Berthier, Laurence Verrey, Dominique Sorrente, Jean-Luc Maxence, Jany Cotteron, Michel Boyer, Jean-Marc Turine, Philippe Mollaret, Jean-Yves Vallat, Bruno Doucey