À Mary Shelley
Le corps est plastique. Ce qu’il est aujourd’hui est probablement le résultat de cheminements évolutifs qui ne seraient pas tous aléatoires. Être c’est avoir un sens dans le cheminement de l’évolution. Apparaître à nos yeux semble une recherche du beau et de la gracilité. S’il est possible de déterminer une tendance de l’évolution corporelle humaine, un regard jeté sur les magazines consacrés à la mode, ne nous oblige-t-il pas à constater une quête de l’androgynie avec élancement et effacement de la silhouette? L’expression plastique de l’art contemporain en proie aux délires de la déconstruction du corps depuis le cubisme, rend moins compte de cette singularité contemporaine que les magazines de mode et la publicité à grand tirage, pour les images d’êtres aux apparences anorexiques.
Victoire de l’esprit sur le corps
Le début de cette figuration du corps de l’humain au genre estompé remonterait à David Hamilton qui, dans les années 70, s’ingéniait à photographier des androgynes plus ou moins victoriens dans une île sans soleil. Le flou hamiltonien naissait de la buée du souffle de l’artiste sur l’objectif. Las de l’existence longue, il céda au vertige noir de la pulsion de mort. Si la vraie vie est ailleurs, nous faut-il la traverser ici-bas dans le flou et ne l’apercevoir que dans la hantise d’une rêverie imagée longiligne et voilée?
Le culte du corps par les pratiques sportives, le body-building, semble révéler chez les êtres qui le pratiquent, surtout les hommes, une projection dans l’immédiat de la nostalgie des origines imaginaires de Néanderthal dans des corps sculptés jusqu’à la difformité. Tandis que la quête de la minceur impossible, particulièrement chez les femmes, fascinées par l’éternelle adolescence, révèle une recherche de la vie sans vieillesse, un syndrome de Peter Pan esthétisé avec art. Ainsi se travestit de pratiques et d’oripeaux la pulsion de mort de l’espèce qui passe.
Le savant insensé jusqu’à l’insensible : quête du clone réparable de l’homme incréé
Passe de disparaître dans la corruption, ce corps que le Transhumanisme veut prolonger et perfectionner! Des savants exaltés imaginent des prothèses, des greffes d’organes, et un culte des performances intellectuelles. N’aurait-on pas atteint des limites ? Mary Shelley créa un monstre qui souffre, le marmoréen Boris Karloff hante toujours nos esprits. Dans le genre du génie gothique, le Golem est une créature de l’imaginaire hébraïque qu’il faut priver de son étoile.
L’intelligence humaine par la massification démographique aura-t-elle de plus en plus de mal à révéler ses élites ? La taille humaine progressera-t-elle? Oserait-on dire que, sans dopage et rationalisation onéreuse, les performances sportives plafonneraient ? La tendance à l’obésité semble dans le présent s’affirmer chez tous les peuples et les éphèbes de Sparte et d’Athènes nous narguent dans les musées. C’est à grand renfort de produits, de régimes que des effets sont obtenus pour se conformer à la quête des records sportifs. Nous ne savons rien des performances des chasseurscueilleurs. Une évolution vers la gracilité semble acquise depuis le temps des Vénus callipyges du paléolithique; on reste d’ailleurs, sans grande explication, confronté au mystère de la quasi inexistence du portrait figuratif de chasseurs-cueilleurs masculins.
Une mémoire de l’invisible corps glorieux, est-elle à l’œuvre dans les univers?
Carl Sagan a lancé dans l’éternité de l’espace inconnu une représentation des terriens, hommes et femmes codifiés dans une esthétique élancée. Ce message idéal est celui du corps aujourd’hui, les variations ne peuvent-elles trop s’écarter de possibilités viables d’un corps parvenu au complexe?
Les commencements de la vie ont par contre emprunté des voies innombrables et l’explosion créatrice du précambrien a créé des formes qui se sont éteintes car «l’extinction est une des lois de l’évolution.» On se plaît à croire que le corps aujourd’hui serait parvenu à un état qui lui assurerait une longévité, voire un état définitif. Or la question la plus douloureuse à envisager est après l’homme, qui ou quoi, si l’on ose admettre que le vivant et l’inerte obéissent aux mêmes lois ? Et si, sous forme de machine, l’inanimé en venait à penser ? Envisage-t-on une odyssée de l’espèce sous le contrôle d’une machine qui refuse comme l’ordinateur Carl de l’Odyssée de l’espace, «d’accéder à nos demandes ?»
L’évolution génétique pour se maintenir dans sa course obéit à des règles de convergences viables. La vie brûle comme un feu dérobé par le moderne et rebelle Prométhée. Cette lumière de la raison ne brille pas sans disperser fumées et cendres éphémères. Le corps aujourd’hui en majesté permet peut-être de prévoir le corps de demain de si brève survenue! Si l’on est parvenu à analyser des cendres de la comète Tchouri on parviendra avec des «machines à séquencer dans l’espace» (Virginie Courtier Orgogozo, biologiste CNRS/Université ParisDiderot) à décoder les ADN errants des plus anciennes panspermies hors de tout comput à prétention historique terrienne. Alors l’humain recueillera les formes codées d’autres humains, poussières errantes expulsées des grands cimetières d’étoiles pourvoyeurs de vies éternelles. Une mémoire de l’invisible est inscrite dans la matière de cet éternel renouvellement.
L’homme incréé ou pas se veut immuable dans son immortalité d’image. Il existe des lois inconnues de l’évolution qui ne seraient pas purement aléatoires. Beaucoup de traits corporels apparentés par nécessité pourraient s’être développés dans le temps et l’espace.
Le passage à la vie exige des convergences de formes; où erres-tu mon semblable, mon frère ?