Chacun le sait bien, les choses sérieuses commencent après le « mais ». Avant ce mot, on dilue, on noie le poisson ou on amuse la galerie, c’est selon. Enfin, le « mais » arrive et un peu de réalité apparaît.
Ce début peut sembler bien abscons. Prenons donc un exemple, que tout le monde a du entendre, en famille ou en réunion : « Je ne suis pas raciste mais… ». On pourrait citer également : « je n’ai rien contre les femmes/les jeunes/l’écologie (rayer les mentions inutiles) mais… ». En général, le reste de la phrase donne lieu à un grand moment d’humanité.
Je ne fais ici que souligner un tic de langage, une rhétorique qui souvent révèle plus de bêtise ou d’ignorance que de réelle méchanceté.
Le 7 octobre vient hélas de porter ce « mais » à des hauteurs vertigineuses, vertige qui m’effraie autant qu’il me donne la nausée.
Je sais qu’en écrivant sur ce sujet sur lequel beaucoup, trop, perdent toute mesure, toute raison élémentaire, je m’expose à des retours de bâtons. S’il est pourtant des moments où il faut poser les « bâtons » et réfléchir ensemble, ce sont bien ceux-là.
Le crime d’être juif
Commençons peut-être par des faits avérés, renseignés, vérifiés. Une attaque. 1400 morts. Parmi eux, hommes, femmes, enfants, vieillards, certains handicapés, des jeunes assistant à un festival de musique. Une sauvagerie sans nom, c’est à dire que l’on a du mal à qualifier, à comparer. Une sauvagerie filmée, diffusée, promue. Avec souvent cris de joie et de délectation de la part des bourreaux. Mais aussi, célébration du massacre, pourtant documenté, dans nombre de pays de par le monde.
Première stupeur, première nausée. On ne parle pas d’une attaque surprise sur une armée, une police, mais sur des civils ! On peut comprendre une attaque de caserne, de militaires, de policiers. Comment explique-t-on le meurtre des adolescents qui dansent, des enfants qui jouent, des bébés. Quel but militaire, politique veux-t-on atteindre ? Disons juste la vérité criante : leur seul crime a été d’être juifs.
Après une condamnation, quand même, assez unanime, très vite le « mais » est apparu, dans de très nombreux discours privés, officiels, journalistiques, universitaires. Oui le Hamas…, oui le massacre est horrible, inqualifiable… MAIS.
Je ne suis personne d’autre qu’un citoyen lambda, pourtant je l’écris ici solennellement, du haut de mon dégoût profond que je n’espère pas définitif, tous ceux qui esquissent, qui émettent, qui écrivent un « mais » après le 7 octobre, achèvent ce qui peut être encore sauvé de l’humanité. Ce « mais » veut dire qu’il y a des causes, des raisons et, ne tournons pas autour du pot, ce « mais » veut dire que les victimes méritent ce qui leur est arrivé et que l’on peut comprendre les monstres. Point.
Pourtant, ce qui est arrivé n’a pas de précédent. Les Arméniens égorgent-ils des Turcs à la première occasion (il y eu plus d’un million d’Arméniens tués par des Turcs) ? Les Tutsis ont-ils massacré à leur tour leurs bourreaux Hutus (800 000 morts) ? Après des siècles d’Apartheid, qu’ont fait les condisciples de Mandela, une fois au pouvoir ? La logique qui semble prévaloir en Israël aurait dicté un bain de sang infini, une vengeance impitoyable envers les blancs sud-africains et des décennies d’humiliation, de ségrégation, de violences continues. Rien de cela n’est arrivé. Et l’on pourrait multiplier les exemples dans lesquels les prétendues « causes » ou « raisons » étaient ô combien présentes et pourtant il n’y eu aucun massacre perpétré.
La nuit viendra plus vite encore
Donc, apposer un « mais » au 7 octobre c’est justifier le Hamas et ses suiveurs, qui, n’en doutons pas, trouveront là un « boulevard » ouvert à leurs crimes, si l’on peut qualifier cela d’un si faible mot. C’est aussi cracher sur les tombes de toutes les victimes du terrible novembre français, du 14 juillet niçois. Car ces terroristes-là, disaient-ils, agissaient pour venger les enfants syriens et irakiens ou pour laver le blasphème. Et déjà, à l’époque, la nausée commençait à me prendre, car après Charlie Hebdo, les « « mais » avaient commencé à surgir, minimisant le massacre, justifiant l’injustifiable.
Ensuite vint le signe « égal ». Oui, un enfant palestinien « vaut » un enfant israélien. Leur perte est irréparable. MAIS (je l’utilise ici à dessein), cela ne veut pas dire : armée israélienne = Hamas. Et c’est là que le signe égal devient pervers et tente de faire tomber tous les repères. Une bavure policière (aussi terrible et injuste soit-elle) n’est pas un professeur d’histoire décapité. Si les victimes se valent, les tueurs se différencient. Sinon, que condamner, qu’enseigner, que transmettre ? Est-ce que ce monde, induit par les « mais » et par ce signe « égal », est celui que nous voulons léguer à nos enfants ?
Ne transigeons jamais sur le mais, ni sur le signe égal.
Sinon la nuit viendra plus vite encore que nous ne le croyions.
Post scriptum en forme de question
Les manifestations anti Israël s’expliquent par le sort des palestiniens. Voir des frères musulmans sous les bombes, les immeubles écroulés déclenche une colère légitime dans les pays arabes, et aussi ailleurs. Dans ce cas, malgré tout, pourquoi n’y a-t-il pas eu de réactions de masse quand en Syrie, Hafez el-Assad bombardait sciemment sa population, hôpitaux, mosquées, marchés, habitations, avec bombes chimiques parfois. Le camp palestinien de Yarmouk fut bombardé. Aucune manifestation. La Russie entra dans la danse macabre et privilégia des cibles civiles. Résultat ? 300 000 morts arabes, parfois palestiniens, musulmans. A-t-on vu des manifestations mondiales, répétées, contre la Russie, ses ambassades, ses églises orthodoxes attaquées? La même Russie a rasé la capitale tchétchène et fait 300,000 morts, pour la plupart civils et musulmans et détruit 80% des infrastructures. D’autres manifestations chez nous ? Dans les pays arabes ? Rien. Les Ouïghours sont persécutés par les chinois, parce que ouïghours et musulmans. Un million d’entre eux sont internés dans des camps et travaillent gratuitement. Manifestations mondiales monstres en soutien aux frères musulmans ? Boycott des produits chinois, iphones, ipads et smartphones en tête ? Rien !
La cause palestinienne est juste et vaut mobilisation. Pourtant, je dis que l’indignation est étrangement sélective si l’on compare cyniquement le nombre de victimes citées plus haut. Et je n’ai pas mentionné les musulmans rohingyas persécutés en Birmanie, les 400 000 Arabes yéménites tués avec l’aide des « frères » musulmans saoudiens. Là encore, où est la mobilisation de ceux qui s’indignent aujourd’hui, où est la colère de ceux qui, à juste titre, disent qu’un mort vaut un mort ? Une armée arabe, russe, chinoise est-elle moins condamnable qu’une armée israélienne ? Réponse assez unanime : OUI !