Chez Rebelles, on vous avait parlé du Patriarche Kirill et de son soutien à la guerre de Vladimir Poutine. On vous avait aussi parlé d’Alexandre Douguine, idéologue Kremlinesque, et d’Alexandre Novopashin, le pourfendeur des sectes occidentales, celui pour qui nous sommes tous des nazis cannibales satanistes.
Maintenant, voici l’évêque Savva (Toutounov). Le brave Savva, de son vrai prénom Serge, est évêque de Zelenograd, un district proche de Moscou. Il est aussi le chef du service de contrôle et d’analyse du patriarcat de Moscou, une sorte d’équivalent de la Sainte inquisition. Il est en charge de faire mener des enquêtes sur les brebis galeuses de l’Église Orthodoxe Russe, et de les faire sanctionner si le besoin s’en fait sentir. C’est un bon ami et collègue d’Alexandre Douguine, et lors du « Conseil Philosophique » organisé par ce dernier le 17 avril, Savva a repris à son compte l’idée de Kirill consistant à considérer comme martyrs tous les soldats russes tombés en Ukraine, ces derniers étant, d’après le prélat, assurés de monter au ciel directement. Pour justifier la légère entorse à la doctrine qui voudrait qu’un chrétien ne tue pas son prochain, Savva a trouvé la réponse : « Ces gens tuent leur prochain, admet-il, mais ils prennent sur eux de sauver d’autres prochains ». Voilà c’est plié. Choisis ton prochain, Dieu te le rendra.
Savva Toutounov, « cardinal gris » de Kirill
Il est souvent appelé le « Cardinal gris » de Kirill, une sorte d’éminence grise, plutôt discrète jusqu’à l’avènement de la guerre en 2022, beaucoup plus disert en Russie depuis. Bien sûr, Il dit qu’il n’aime pas la guerre. Mais celle-ci est nécessaire, pense-t-il : « Avons-nous besoin de la paix au prix de la mort de la Russie, du piétinement de nos idéaux et, finalement, de l’extermination “pacifique” du peuple russe ? » Bien sûr, le peuple russe est grandement menacé par les satanistes occidentaux qui le feront périr de l’intérieur, « pacifiquement ». C’est sacrément sournois ça…
Voici donc un vrai radicalisé de la Sainte Église de Moscou. Et pourtant, Savva est… Français !
Serge Toutounov est né en 1978 en banlieue parisienne, de parents russes immigrés. Il a fait ses études en France, et à l’âge de 17 ans, il est devenu lecteur à la cathédrale russe Alexandre Nevsky de Paris, qui relevait alors du patriarcat de Constantinople (depuis 2019 elle est dans le giron du Patriarcat de Moscou, et les deux patriarcats ont coupé les ponts récemment). Au début des années 2000, il part en Russie, et entame sa carrière dans l’Église Orthodoxe du Patriarcat de Moscou, passant rapidement de simple moine au rang de hiérodiacre[1], puis au rang de hiérarque (évêque), grâce à l’intervention de celui qui était alors responsable du département des relations extérieures de l’Église : Kirill lui-même.
Nous tuerons tout le monde
Lorsque la guerre éclate en 2022, Savva Toutounov se réjouit : « Nous n’avons plus 30 ans ou 100 ans. Nous avons à nouveau plus de 1 000 ans… Aujourd’hui, l’horloge a été remise à zéro » ! Le 8 avril dernier, il n’y a même pas deux mois, il enterre un « ami », le combattant blogueur assassiné à Saint Petersbourg quelques jours plus tôt, Vladlen Tatarsky (né Maxim Fomin). Tatarsky n’est pas n’importe qui. Il est l’un des plus zélés propagandistes militaires du Kremlin, n’hésitant pas à fustiger le commandement militaire russe pour n’avoir pas profité de la venue de Zelenski à Kherson pour le faire exploser via un drone, ou déclarant sans second degré : « Nous vaincrons tout le monde, nous tuerons tout le monde, nous volerons tous ceux qui en ont besoin. Tout sera comme nous l’entendons ». En l’enterrant, Savva lui a rendu les honneurs : « Il est maintenant citoyen du Royaume de Dieu. Nous y aspirons [en le suivant]. Il [Tatarsky] est venu à la vie de l’âge à venir. » Eh oui, Tatarsky est aussi un martyr, mort pour l’œuvre de Dieu.
Il ne s’agit pas d’une guerre, mais de quelque chose de plus terrifiant et de plus dangereux. Il ne faut pas croire que quelqu’un pourra s’esquiver, refusant d’agir militairement en Ukraine. Toute tentative de ne pas tenir compte des paroles du chef de l’État est un pas vers la catastrophe nationale
Savva Toutounov
Pour Savva Toutounov, la raison de la guerre est à chercher dans « le mondialisme, le gauchisme, le mépris des fondements de la morale chrétienne ». Il ajoute : « Il ne s’agit pas d’une guerre, mais de quelque chose de plus terrifiant et de plus dangereux. Il ne faut pas croire que quelqu’un pourra s’esquiver, refusant d’agir militairement en Ukraine. Toute tentative de ne pas tenir compte des paroles du chef de l’État est un pas vers la catastrophe nationale ». Ça c’est du bon soldat !
Savva et le grand remplacement
Mais à côté de la décadence occidentale, il y a autre chose que Savva n’aime pas : les migrants qui remplacent la population masculine envoyée au front en Russie. Pour Savva Toutounov, il existe des « tentatives de déplacer notre peuple, de remplacer notre pays » de l’intérieur. L’agression contre la Russie prend la forme d’une « immigration galopante ». « La principale menace est l’érosion de notre vision du monde, de nos idéaux, de nos aspirations. De notre foi, quelle qu’elle soit. Nous avons donc de nombreuses croyances, mais en même temps c’en est une seule, et les migrants ne devraient pas être autorisés à la diluer ». C’est un peu zémourien, non ?
Ça va Savva ? (OK je sors…)
[1] Dans l’Église orthodoxe, un hiérodiacre, littéralement un « moine-diacre » est un religieux qui cumule à la fois le titre ecclésiastique de moine et celui de diacre, un homme qui assiste le dirigeant d’une église locale et a la responsabilité de certaines activités.