Le mouvement contre la réforme des retraites, indépendamment de l’opinion que l’on en a, a posé un problème intéressant mais délicat. Devant l’intransigeance du gouvernement, nombreux sont ceux qui, avant d’en appeler à un référendum, prônaient la primauté de la rue sur le politique.
Air connu : «Macron, Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, t’es foutu, on est dans la rue ! ».
Si la formule est de bonne guerre, on ferait bien de s’en méfier, car si la rue peut avoir raison (on pense aux printemps arabes, ou à ce qui est encore l’hiver iranien), il en va différemment dans les démocraties et c’est peut-être très bien ainsi.
Car, les mêmes qui en appellent à la légitimité du peuple (lequel?) en mesurent-ils toutes les conséquences. Qui doit décider du bien-fondé de telle ou telle manifestation et revendication ?
Fallait-il donner raison aux anti mariage-pour-tous au seul motif qu’ils étaient nombreux, ce qui est vrai, et mobilisés longtemps, et que de plus, certains politiques, certains médias se faisaient l’écho de leurs revendications ?
De même aux citoyens des villages qui, parfois en masse, manifestent contre l’accueil d’une quarantaine de réfugiés ? Ont-ils raisons car ils sont le « peuple » ? Qui décide ? Et vers quelle dérive va-t-on ?
Ainsi également du référendum, selon moi une fausse bonne idée et qui peut aussi se révéler paradoxalement dangereuse pour la démocratie. Certes, dans un premier temps, ledit référendum aurait pu offrir une victoire au mouvement contre la réforme des retraites, ce qui était le but recherché.
Mais une fois encore, qui décide et quand s’arrête-on ? Si l’histoire nous apprend quelque chose, alors regardons-là ! Je ne parle pas ici des revendications légitimes d’indépendance d’un peuple colonisé mais de référendums concernant des lois d’un pays démocratique qui ne plaisent pas à tout le monde.
Le plus récent exemple est le Royaume Uni. On voit où le référendum les a menés. Car qui dit référendum dit campagne (qui deviendrait ainsi permanente, avec son lot de divisions, ce dont nous n’avons vraiment pas besoin), et qui dit campagne référendaire dit camelots, populistes et grandes gueules. Ce sont eux qui ont amené le Brexit, que, croyez-moi, nombres d’anglais modestes, ayant voté pour, regrettent et n’ont pas fini de regretter. Le référendum, c’est le risque du mensonge érigé en système avec, de surcroît, le « mégaphone » des réseaux sociaux, où, pardonnez l’expression, la voix du con (et il y a concurrence !) compte autant que celle du prix Nobel et finit toujours par l’emporter.
S’il a l’apparence d’un outil absolument démocratique, il a aussi des effets pervers. Amusons-nous un peu : essayez donc d’organiser votre vie familiale en faisant voter vos enfants sur vos décisions. Venez ensuite me parler du résultat.
Prenons des exemples plus sérieux: si François Mitterrand avait fait un référendum sur l’abolition de la peine de mort, alors qu’une large majorité était pour, quel aurait été le résultat ? Et qu’en pense les gens maintenant ? Était-ce donc un tel déni de démocratie ? Ou une avancée « autoritaire » mais nécessaire, qui prouve également que nous changeons d’avis avec le temps. Si l’on avait demandé leur avis aux états ségrégationnistes américains avant l’abolition de 1964, que croyez-vous que le résultat eût été ? Et pourquoi s’arrêter là ? Demandons aux gens ce qu’ils pensent des impôts et faisons un référendum !
En ces temps agités, méfions-nous également de toujours déclarer le pouvoir illégitime, car, évidemment, certains se frottent les mains. Á force d’entendre que le président, le parlement sont illégitimes, il devient légitime de s’en débarrasser. Donald Trump a essayé, Bolsonaro également. Certains y songent chez nous, soyons-en sûrs.
Enfin, à trop crier : « Élections, piège à cons ! » (ce qui est déjà paradoxal pour ceux qui voudraient un référendum, car un référendum est malgré tout un vote!) cela ancre dans la tête de plus en plus de gens l’idée qu’on peut se passer d’élections. Certains s’y préparent activement. Il y a d’ailleurs beaucoup de pays sans élections ou avec des élections gagnées d’avance. Ceux qui disent ne pas voter, par quoi veulent-ils remplacer les élections, et aimeraient-ils vivre dans ces pays-là ? C’est d’autant plus dangereux et irresponsable que les électeurs d’extrême droite (par exemple), eux, ne s’abstiennent pas.
Ceux qui prétendent aimer la démocratie (j’en connais !) mais ne pas voter me stupéfient. Le premier droit (j’allais dire le premier devoir) du citoyen dans une démocratie est le vote ! Quelqu’un me confierait qu’il adore les vacances sur la Côte d’Azur mais qu’il ne veut pas se baigner, qu’il ne supporte pas le sable ou les galets, le monde et la chaleur, et que la plage et les bateaux l’ennuient, j’aurais du mal à le croire !
Petite anecdote : Lors d’une réunion de copropriétaires, au cours de laquelle il fallait, entre autres, décider de la couleur du crépi des façades et de celle des portes, l’un des voisins déclara : «La couleur, je m’en fiche. Choisissez ce que vous voulez, je ne vote pas ! ». Les couleurs choisies, les travaux faits, le même voisin me demanda comment nous avions pu choisir des couleurs aussi moches . Toute ressemblance avec une quelconque situation politique serait purement fortuite.
Si : « Pas de bras, pas de chocolat ! », on se prend à rêver d’un : « Tu votes pas, pas de chocolat … et surtout, tu ne râles pas! »
Aussi, je préconise un nouveau slogan : « Abstention, piège à cons ! ».
PS : Comme pour apporter de l’eau à mon moulin qui déborde déjà, je viens juste d’entendre les réactions aux résultats du référendum parisien sur les trottinettes (un peu moins de 8% de participation). Deux personnes interrogées se plaignent de la victoire du non, trouvent ça « dégueulasse », ne tarissent pas de critiques sur les « vieux qui ont voté » puis finissent par déclarer n’avoir pas voté eux-mêmes. Merveilleux !