
Au cœur d’un arc-en-ciel court l’ombre d’un désir sous la clarté matinale de la stratosphère. Plus loin, ludique, le regard brillant, le désir malicieux s’orne de particules multicolores éclatantes de bonheur au contact de la lumière colorée du phénomène naturel, assis au bord du vide. Le désir jouit observant son ombre, à pleines gorgées, habitée de son arrière- pays couvert de plages d’images où s’écrivent ses rêves en graphies indéchiffrables. Légère comme cendre, l’ombre sur son parcours laisse une traînée pourpre, sur son passage, d’écumes aux crêtes argentées de vie. Lui, le désir, se met à courir, courir derrière son ombre, à perdre haleine, toujours plus vite toujours plus prêt, aux bords des abîmes profonds, oubliant la présence de l’existence des hommes, tout en bas. Oh! Non, la nocturne dépouille du temps ne rattrapera jamais l’ombre du désir, rien ne peut l’atteindre, rien ne peut l’éteindre, rien ne peut lui arracher la lumière bleue qui palpite sous la robe brune de son ombre. Serein les yeux silencieux, du désir chante nu l’air des rages à l’abri des tracas des âmes errantes, machinalement, ses mains arrosées d’étoiles repoussent la nuit qui vient au plus loin de l’infini. Il sourit en équilibre sur le fil de son avenir. Galope, galope, happant l’espace des esthétiques anciennes moribondes en caressant son ombre douce comme du miel, juste à côté de lui. Soudain, un vent d’alizés réchauffe le corps du désir. Il frémit. Une pluie de morceaux de ciel illumine son territoire. Endormi de douceurs il élance ses bras au devant de lui, criant des mots et des signes dans une langue aux sons barbares. Un écho joyeux qui passait par là rattrape dans sa bouche cette farandole sonore et graphique, l’organise en frondaisons vibrantes de ses mâchoires puissantes, l’étire, la pourfend et la ramène au désir qui la déchire en riant, en la renvoyant en l’air toujours plus haut vers l’écho. Se prenant au Jeu, le désir repousse la farandole de mots et de signes encore et encore de ses mains pour mieux la rattraper et la renvoyer, tel un enfant répétant sans cesse un geste dans un oubli total de lui-même, seulement par plaisir de faire, de faire et de refaire et de refaire ce geste, encore et toujours. Le désir est homme-enfant . Quand il marche il parle en s’abandonnant dans ses aurores de songes . Il s’émerveille tout éveillé aux chants du monde. Sa terre, son arc-en-ciel le retient par son apesanteur dans ses rêveries. Sa chair, la substance de ses plaisirs, loin des hurlements des chiens baveux, des bruyants du bas, le protège de l’âcre désordre du vacarme des angoisses. Son ombre, une architecture où il range ses trésors. Son jeu est la vie, toute la vie, rien que la vie. Sa respiration, la voix irréelle des poètes. Tout cela le rassure, tout cela lui donne de l’entrain, tout cela lui rappelle au plus profond de lui-même l’essentiel de l’existence de son être.

Toute sa raison d’être, le sang chaud des ronces qui coule dans ses veines et qui pousse dans le jour inconnu toutes ses images imaginées, tous ses dessins fixés par ses yeux dans le cœur de son ombre, qui telle une maison fictive le forme tel qu’il est, lui le désir, tout en le défendant des vénéneuses visions du monde. La neige purulente du réel est amère. Dans son insouciance grande le désir a accroché son ombre par mégarde à la pointe crochue d’un accroc à l’extrémité droite de son arc-en-ciel, là, où la queue de couleurs touche la terre des hommes. L’ombre se débat, le désir la tire à lui de toutes ses forces, l’ombre gémit de douleur, le désir redouble de force. D’un coup, l’ombre se déchire, un cri lugubre retentit. Le désir emporté par ses efforts roule en arrière sur plusieurs mètres. Son ombre retenue par ses mains flotte à nouveau libre, il la regarde tendrement. L’ombre pleure entre les doigts du désir qui la soutient. Il souffle une pluie d’étoiles sur la plaie de son double, la blessure se referme effaçant toute trace du désastre. Alors, le désir puise dans l’écorce de la peau de sa maison secrète que compose son ombre quelques souvenirs et en chuchotant se raconte l’histoire de la langue qui ne parle pas encore, l’histoire de l’expulsion rythmique des mots et des signes avant que tout ne commence sur la surface de ses rêves. Le sommeil le prit et il ne finit jamais son histoire. Son ombre quant à elle avait formé un dôme au-dessus de lui qui délicatement le protégeait des rayons lunaires sur le chemin du territoire des ronces.
Mattéo Vergnes
