Francis Coffinet est poète, comédien, plasticien. Il a publié une trentaine de livres, entre autres chez Unicité, Alidades ou encore Fata Morgana et a participé à de nombreux livres d’artistes. Avec J’appelle la pluie des faibles, laissons-le nous égarer dans les méandres de l’intime et de la sensualité, dans le for intérieur du cosmos.
Un masque pour mieux subjuguer
Francis Coffinet appelle la pluie des faibles, la mande, l’assigne ; comme si elle était sienne, voulant nous faire accroire qu’il est de cette espèce désarmée qui subit et laisse passer l’orage, la tête dans les épaules. Il joue le Kevin Spacey de Usual Suspects (1), l’homme ectoplasme au milieu des fauves. Mais c’est lui le « crippled man » feint – Spicy Francis qui tire les ficelles -, faisant dans le labyrinthe se lacérer les icebergs crépitants et les brûlant granits. Ils n’y verront que du feu, même dans leurs derniers instants. L’enquêteur découvrira trop tard qu’il a été joué.
Francis Coffinet a l’éthos sorcier de celui qui comprend, convoque et transforme. Les forces de la nuit sont siennes, les Trois Dames sont à son service. Il aligne les planètes et rétablit la giration des galaxies, déplace l’orbite des géocroiseurs pas assez imaginatifs à son goût. Il torréfie quelques comètes pour son petit déjeuner. « Laisse gagner le Wookie », conseillait Han Solo à Luke Skywalker (2) qui se scandalisait du jeu d’échec peu orthodoxe du géant aux longs poils. « Laisse gagner Coffinet », serons-nous tentés de recommander aux égarés du club des poètes. Au sorcier sidérant, l’on ne peut se soustraire : Tu viens vers moi sans que je t’appelle / Hypnose du tigre / je désengramme tes neurones / et j’ouvre tes éclairs en les touchant du doigt.
Tout le long du long poème, que ce soit dans sa partie Une langue pour désapprendre ou durant La nuit du Dark Véda (3) : émerveillement des initiations, génie de l’éros, révélateur des secrets enfouis au « fripon divin », en chacun de nous toujours présent : D’un claquement de langue contre le palais / je fais apparaître un enfant qui joue à la marelle… À chaque seconde je sauve un enfant / j’effleure la membrane du temps qu’il quitte / et celle du temps où il entre… ou encore : Si je pose mon oreille contre ta poitrine / j’entends s’effondrer des châteaux de sable.
Vicaire des messes charnelles, Francis Coffinet « impose longuement ses lèvres, entre dans la fleur du cerisier ». Je viens en toi par la petite langue des secrets… / j’escamote ton jardin / d’un doigt je glisse en toi un bouton de rose / J’enfile une longue épée dans la question. Pas question donc d’y échapper, l’on est pris dans ses rets comme un lapin dans le faisceau des phares ; on peut en humer déjà la gibelotte.
Les amis sont comètes au firmament
Par instant les aphorismes émergent, séparés des vers libres et pourtant invisiblement liés à eux – liberté conditionnelle – L’histoire aura plus brûlé de corps / que l’incandescence des planètes… / Un seul poème accélère le mouvement des astres.
Tendresse infinie pour l’amant, pour l’ami – il me suffit de poser un doigt sur le battement / de l’une de tes artères / pour te conter la plus longue histoire -, Francis Coffinet est le dispensateur des contes, des « il était une fois » insomniaques et des loups-garous bien dressés ; il lui suffit, d’un doigt. Magicien possessif et proconsul des rêves – Corps flottants / mes captifs… – oui, en effet, il promet : je ferai ce que tu voudras / j’entrerai dans ta nuit à ta vitesse – oui, mais toujours en maître des cérémonies… je recalculerai à l’infini / la masse moléculaire de chacun de tes mots.
Douleur de l’absence, évocation bouleversante des amis disparus – Un ami vient de nous quitter, / la musique que nous lisions sur son front / il nous faudra désormais aller la chercher parmi les trèfles… Tu as ouvert tes bras / aux muscles dépecés / aux amis perdus, / aux jours dont on ne peut saisir même un nerf de lumière. Absolution chrétienne – Chacun des membres du jour passe devant nous charrié par le pardon.
Géographie corporelle et interstellaire
Il est un permanent va-et-vient du démiurge entre une géographie reconstituée du corps – en Elisée Reclus thaumaturge – et la savante réorganisation du cosmos lorsque le druide exhorte les étoiles.
Francis Coffinet est d’abord le chirurgien qui incise les muqueuses du sensible et de l’étonnant. Tel un professeur dans l’amphithéâtre de la faculté, il décrit le geste, joint le pincement des doigts à la parole ; puis pratique l’incise, la résection, la ligature de nos psychés, toute autorité sous les spots du bloc opératoire de nos songes. Afin d’équilibrer la pression osmotique des âmes et retrouver l’harmonie, il « ouvre les deux plaies », soupèse « le poids de chaque organe » ; à l’intérieur des corps « il croise les fils » de ses composants : tête, épaule, hanches, cils, salive, vertèbres. Torsion des nerfs / pincements / battement de flux sanguins / muscles dépecés / je t’entrouvre le cœur et j’en extrais le caillot du verbe.
Il est ensuite le réorganisateur des mondes – Je réoriente ton soleil… / On a su comment faire tourner la terre – un coup de talon parfois suffit -. Alchimiste des confins cosmiques, il part « vers Alpha du Centaure », pèse les galaxies au trébuchet, mesure au microscope à balayage poétique les années-lumière nous séparant trop souvent de la grâce – Le monde tant que tu étais là / je l’ai serré entre mes mains comme une poignée de sable. L’astucieux créateur jonglant avec les milliards de particules, la formule du carbone et la théorie des masses nous emmène aux jeux du cirque dans un atome. La pharmacopée cosmique rejoint alors le flux amniotique du cordon ombilical. Les disparitions sont commencements. Avec cette poésie, somptueuse, nous sommes bien poussières d’étoiles.
(1) Usual Suspects, film de Bryan Singer avec Kevin Spacey, Chazz Palminteri et Benicio Del Toro, 1995
(2) La guerre des étoiles – Episode IV, film de Georges Lucas avec Mark Hamill, Harrison Ford, Carrie Fisher et Alec Guinness, 1977
(3) Dark Vador !