Un groupe de touristes débarquent pour le retour à Samarkand. Après les merveilles de Chah e Zindeh, il faut faire le deuil des splendeurs orientales et vernissées. En rang, dans le bus à la carrosserie dépassée – mais à la climatisation salvatrice, ils s’agglutinent dans le hangar flanqué d’un petit immeuble administratif. L’avion est là, à quelques pas sur le tarmac. Tous ont payé, pris l’aller physiquement et ont en poche la réservation du retour, confirmée par l’agence. Le double en possession du guide.
Ce dernier connait le problème d’enregistrement pour le billet retour de l’homme du couple le plus âgé. Il en a déjà parlé lors de l’escale, et on lui a dit au guichet que tout était réglé. Il connait les péripéties idiotes du bug informatique. Et si l’homme vieux– courbé, fragile est arrivé, il doit, c’est la logique, rentrer. En matière de séjour, pas de visa sans billet aller/ retour.
À l’enregistrement, l’hôtesse ronde, aux mains manucurées, et aux grands yeux fendus dans le charme convenu de la contrée, chatte, lui annonce : pour régler l’incident, allez voir le directeur. Le siège existe mais la base de données ne fait pas mention du nom – en contradiction avec les billets papiers, qu’il lui a déjà montrés. « Il n’y a que lui pour vous sauver. »a-t-elle rajouté.
Il traverse la salle aux fauteuils alignés où s’entassent les voyageurs abimés dans l’entre deux du rêve dissipé, engoncés chacun dans leur muraille de bagages : sacs et valises entassés.
Le guide entre dans le bureau. Le responsable le voilà, plus qu’enrobé, lui fait penser à ces pachas que le sage invitait à jouer au ballon pour moins souffrir de la force d’inertie de leur corpulence gavée de sucreries. Un aréopage bavard, avec un geste des doigts boudinés et bagués, est dispersé. Le guide s’assoit et expose la situation. L’homme regard matois, lui dit : je vais tout arranger, mais…
Il tape sur le clavier d’un bout d’ongle pour ne pas frapper trois touches à la fois. Puis annonce : voilà c’est fait ! Et maintenant, doucereux : il faut me remercier…
Le guide familiarisé avec les habitudes de retour sur investissement d’efforts surtaxés, lui déclare : je vous remercie du fond du cœur ! Se saisissant du billet, rangeant preste, sa chaise, il ajoute : et nous savons tous deux, en bons professionnels que nous sommes quittes… Si j’avais été un simple touriste, sans doute auriez-vous pu un peu plus, m’en demander.
Le pacha, de surprise, s’effondra sur son céans, sur le choc en retour de cette fin de non-recevoir- ou plutôt, de ce non-retour de fortune : habituel bakchich qu’il escomptait.
Isabelle Camarrieu