Le projet Smile
Plein d’audace et de confiance en lui suite à la réussite artistique de Pet Sounds, Brian Wilson s’attaque ensuite à son prochain projet, Smile. Commencées dans l’enthousiasme général, les sessions de Smile vont s’avérer de plus en plus difficiles et décevantes. Il faut dire que Brian, outre sa tendance à l’auto médication pour combattre son état dépressif, va prendre l’habitude d’un mélange particulièrement dangereux : barbituriques + amphétamines. Ces dernières ont pour effet d’exacerber sa confiance en lui jusqu’à un niveau irrationnel et les barbituriques, au contraire, de le faire douter. Et c’est avec ces deux tendances chimiques totalement contradictoires qu’il va avancer durant les sessions.
Toujours à la recherche d’innovations mais instable émotionnellement et lourdement perturbé par les drogues, Brian perd de plus en plus le contact avec la réalité. Il a cessé d’être un artiste original, voire excentrique, pour tout simplement sombrer dans la folie. Mi-1967, découragé et anéanti, plus perturbé émotionnellement que jamais, il abandonne le projet Smile. Sa carrière personnelle au sein des Beach Boys est, pour l’essentiel, terminée.
Beaucoup de supputations ont été faites sur le pourquoi de cette descente aux enfers : déception que Pet Sounds ait échoué à séduire le public américain, échec de son projet Smile, aggravation de son instabilité personnelle, prise abondante d’amphétamines, de barbituriques, d’alcool et de drogues dures, scepticisme grandissant des autres Beach Boys sur son travail, etc, etc. Selon la légende, il se serait même effondré après avoir entendu Paul McCartney lui jouer et chanter She’s Leaving Home de l’album des Beatles à venir. La qualité de cette chanson l’aurait persuadé qu’il avait définitivement perdu la partie face au groupe anglais, ses principaux rivaux. Comment savoir ce qu’est la source de son effondrement ? En fait, chacune de ces raisons à probablement contribué à sa chute, à un degré ou à un autre, tout simplement.
L’épanouissement des autres Beach Boys
Suite à son effondrement, tant humain qu’artistique, Brian Wilson ne sera plus qu’un membre des Beach Boys comme les autres, même s’il gardera intacte son image de génie de la musique auprès du public. Il ne dirigera plus les séances d’enregistrement, composera peu ou alors avec un autre membre du groupe et sera parfois un peu “aux abonnés absents”.
Paradoxalement, cet effondrement va avoir un effet positif sur les autres Beach Boys. Se sentant abandonné par celui qui avait toujours été le moteur de leur évolution et voulant continuer le groupe, chaque membre va mettre la main à la pâte et composer ses propres chansons, celles de Brian devenant anecdotiques et rares. On peut dire qu’une troisième carrière s’ouvre pour les Beach Boys, une période de créativité qui est loin d’être négligeable, même si l’époque Pet Sounds restera pour l’éternité le haut du panier.
Pendant toute la carrière des Beach Boys, Brian Wilson, connaissant parfaitement les particularités de chaque voix dans le groupe, distribuera judicieusement le rôle de la voix principale. Pour les parties en falsetto, ce sera lui. Pour les parties en voix de ténor, pas trop haute, ce sera Mike Love et pour les parties en voix haute, claire et éthérée, ce sera très souvent Carl Wilson. Ce dernier saura parfaitement tirer parti de cette expérience et fera souvent la voix principale sur les hits du groupe après 1967.
Quelques perles de la période post-Smile, toutes chantées par Carl Wilson :
Darlin’ :
I Can Hear Music :
Feel Flows :
California Dreamin’ :
La descente aux enfers de Brian Wilson (suite)
Pour les Beach Boys, en tant qu’entité, c’est donc une très belle carrière qui se poursuit, même si elle est en dents de scie. Pour Brian, la descente aux enfers continue. On aurait pu croire qu’il avait déjà touché le fond mi-1967 mais tout va continuer à aller de mal en pis sur un plan humain et personnel.
Mi-1968, obnubilé par des idées suicidaires, il sera interné trois mois, à sa propre demande selon la version officielle.
En 1969, Murry Wilson, son père, vends les droits sur la musique des Beach Boys ce qui plongera Brian dans une profonde dépression, son mentor/détracteur de père prouvant par cette vente qu’il ne croit plus à sa musique.
Après quelques contributions aux disques des Beach Boys, il entame une période de réclusion, saupoudrée de grandes quantités de cocaïne et avouera plus tard avoir passé trois ans dans son lit, plongé dans une véritable torpeur.
Docteur “Feelgood”
Fin 1975, désespérée d’échouer continuellement à aider Brian à vaincre son instabilité ainsi que ses abus de drogues et de nourriture (il est devenu énorme), sa femme Marilyn le persuade de suivre la cure du psychologue Eugène Landy qui a eu du succès avec des personnalités du showbiz. Dans les mois qui suivent, les choses semblent aller mieux : Brian maigrit, ne prends plus de drogues et a l’air plus calme. Dans le même temps, il a l’air absent et plutôt apathique. Difficile à ce jour de savoir la teneur du traitement médicamenteux que lui a donné Landy.
Donc, les Beach Boys et Marilyn sont plutôt rassurés par les résultats obtenus dans un premier temps sur Brian mais une accumulation de faits vont leur mettre la puce à l’oreille sur qui est véritablement Eugène Landy. Tout d’abord, les résultats sur Brian ont été obtenus par la contrainte. Il est surveillé jour et nuit et ne peut manger que ce qu’on lui donne. Landy demandait au début 10 000 $ par mois qu’il a augmenté graduellement jusqu’à 18 000 $. En décembre 1976, ses honoraires passent à 20 000 $. A notre époque, ça représente l’équivalent de 95 000 $ par mois ! De plus, il s’est mis en tête de diriger les Beach Boys et fait du forcing pendant l’enregistrement d’un album pour en devenir le réalisateur artistique. Tout ça additionné au fait que Landy devient hautain et autoritaire avec eux, que Brian semble apathique… Marilyn et les Beach Boys virent Landy et Brian retrouve son autonomie.
La descente aux enfers (suite et fin)
Il n’en fera pas un bon usage, retombera dans ses excès et, début 1978, Brian se sépare de sa femme, Marilyn. Il fait des fugues où on le retrouve dans les endroits les plus improbables et est en proie à une instabilité grandissante. A la mi-1978, il est interné en hôpital psychiatrique plusieurs mois. Ensuite, ses excès le précipiteront une nouvelle fois dans les griffes de Landy en 1982 mais, cette fois-ci, Landy prendra bien soin de le couper des autres membres du groupe, sous prétexte qu’ils représentent une incitation à prendre de la drogue.
Un autre évènement tragique laissera Brian complètement dévasté émotionnellement : la mort par noyade de son frère Dennis, dont il était très proche.
Par conséquent, Eugène Landy a obtenu un contrôle total et indisputé sur Brian Wilson, avec tous les avantages financiers que ça suppose, entre 1982 et 1986. Cette année-là, Brian rencontre Melinda Ledbetter dont il tombe amoureux et réciproquement. Celle-ci, comprenant la situation réelle dans laquelle est Brian, et avec l’aide de sa famille, va totalement et définitivement éloigner Landy de Brian par un procès en 1991.
La renaissance
En grande partie grâce à l’aide bienveillante de Melinda, Brian Wilson va redevenir un musicien autonome à part entière. Il reçoit désormais des soins appropriés et va réellement mieux.
Pour vraiment finir ce qu’il avait laissé en chantier, il achèvera le projet Smile, sous son propre nom puis avec les Beach sous le titre The Smile Sessions. Suite à l’attente des fans, il y aura également The Pet Sounds Sessions regroupant dans un coffret tous les enregistrements originaux de l’album éponyme. Parallèlement, il sortira plusieurs albums dotés du charme typique de ses années fastes.
They Can’t Take That Away From Me est une reprise de Gershwin, popularisée auparavant par Fred Astaire et Ginger Rodgers, le tout à la sauce Brian Wilson :
Love & Mercy est la chanson éponyme du biopic qui lui est consacré :
One Kind Of Love rappelle les grandes heures de Brian, spécialement pendant le refrain.
La vie de Brian Wilson a donc été un long et douloureux parcours du combattant contre l’adversité, celle de ses névroses personnelles ou celle de son entourage, parfois composé d’individus mal intentionnés pour qui il était une proie facile. Contre toute attente, il aura finalement trouvé un équilibre dans la deuxième partie de sa vie. Surtout, surtout, il aura appris à vivre par lui-même et pour lui-même, témoignant dans ses interviews d’une fraicheur d’esprit retrouvée.
D’après lui et certains de ses proches, le film Love & Mercy (2014) est très factuel et représente bien ce que fut sa vie :
“La véritable récompense d’un artiste, c’est son don”, “Je ne suis pas un génie, contrairement à ce que j’ai entendu dire. Je suis juste quelqu’un qui travaille dur” (Brian Wilson, 1992)
Une âme d’enfant égaré dans une personnalité de génie, adolescent puis adulte, maintenant âgé de 80 ans, Brian Wilson n’a rien perdu du regard émerveillé et bienveillant qu’il a toujours eu, et même dans ses plus récentes apparitions filmées. A un journaliste qui lui demandait comment il avait vécu la gloire, l’argent, le succès, il a répondu, après un moment de stupeur face au sens de la question : “Mais je n’en sais rien, moi. Je ne pensais pas à tout ça. Je voulais juste donner ma musique aux gens… Pour qu’elle les rende heureux, pour qu’ils se sentent aimés.”