Si on devait trouver un équivalent à Mozart dans le Rock, Brian Wilson, leader, compositeur, arrangeur et producteur des Beach Boys serait un très bon choix.
Commençons par l’une des rares choses qui les distingue : la personnalité. Autant Mozart était extraverti, drôle, charmeur et séducteur invétéré, autant Brian Wilson était introverti, souvent triste, effacé et timide avec les femmes. Ce sont les différences frappantes… Voilà qui est fait !
Mais comme Mozart, Brian Wilson a reçu une éducation musicale classique mais ce qui le distinguera sera sa capacité à innover au-delà des normes. Comme Mozart, il aura une grande facilité à trouver des mélodies immortelles, pleines de grâce et d’une personnalité époustouflante. Comme Mozart, il repoussera constamment les limites de ce qu’on croyait possible à son époque. Et comme Mozart, il créera des atmosphères envoutantes, subtiles et complexes mais accessibles à tout un chacun.
La jeunesse des frères Wilson
On peut même dire que Brian Wilson a eu aussi son “Salieri”, son opposant jaloux opérant dans l’ombre et veillant à ce que son talent et sa réputation s’écroulent : son père. Murry Wilson est un père relativement dans la norme pour l’Amérique des années 50. C’est à dire qu’il est autoritaire, parfois violent et volontairement cassant dans ses rapports avec ses trois fils, Brian, Dennis et Carl. Dennis, au caractère rebelle, sera régulièrement battu. Lors d’une “correction” donnée à Brian quand il était enfant, le coup sur l’oreille est d’une telle violence que celle-ci devient définitivement inopérante. Le gamin devient sourd de l’oreille droite. Brian Wilson n’entendra jamais la musique en stéréo, avec le sens de l’espace. Pour achever d’asservir ses gamins, Murry Wilson, musicien frustré, les force à répéter avec lui ses chansons où il est le chanteur principal. Le seul avantage de tout ceci est que Brian, Dennis et Carl apprendront à chanter ensemble en jouant de plusieurs instruments.
Pour survivre à ce traitement, les trois gamins adopteront en grandissant des personnalités bien différentes. Brian, en tant qu’ainé et réceptacle principal de la fureur paternelle, deviendra gauche, angoissé, manquant totalement de confiance en lui et, dans le même temps, continuellement poussé par son père à se surpasser, à faire toujours mieux et plus fort que les autres. Ça deviendra un trait de caractère de Brian, une sorte de manie, une idée fixe. Dennis s’en tirera avec un je m’en foutisme assumé mais drôle, subtil, ce qu’il lui permettra d’éviter les retombées. Grand séducteur et fêtard, il ne manque pas malgré tout d’intelligence. C’est lui qui, pendant leur adolescence, dira un jour à Brian, à nouveau angoissé par les dévalorisations musicales de son père : “Brian, le vrai génie de la famille, ce n’est pas notre père, c’est toi”. Carl, en petit dernier, ce qui le favorise, passera plus ou moins à travers les gouttes et aura une personnalité plus stable, plus équilibrée que ses frères.
Un départ fulgurant
En 1961, les Beach Boys se forment, constitués des trois frères Wilson, de Mike Love, leur cousin, au chant et de Al Jardine, un ami de Brian, à la guitare rythmique. Brian tient la basse et les harmonies vocales hautes, Dennis la batterie et Carl la guitare solo. Leur première chanson est Surfin’ et on peut dire que Dennis a eu l’idée de génie là-dessus. En tant que noceur et séducteur en Californie au début des années 60, il pratique assidument le surf, sport très en vogue à l’époque sur la côte ouest. Il est d’ailleurs le seul vrai surfeur du groupe, ce qui sera consciencieusement caché au public pendant des années, les Beach Boys projetant une image de surfeurs. C’est lui qui donnera l’idée d’écrire des chansons sur le surf, les filles, la plage et tout ce qui constitue la “dolce vita” en Californie à l’époque. Brian prend l’idée et compose plusieurs chansons à succès à la gloire de ce paradis fantasmé. Évidemment, pour les jeunes du cru, les Beach Boys sont irrésistibles car ils décrivent ce qui fait leur vie de tous les jours mais le reste de l’Amérique est sensible également à ce monde qu’elle ne connait pas et qui lui semble idyllique. Par Brian Wilson et les Beach Boys, les jeunes américains se trouvent une Terre Promise bien à eux.
Brian Wilson devient producteur
Les deux premiers albums, qui célèbrent cette vie idéalisée, se vendent très bien mais on a du mal à notre époque à apprécier pleinement cette musique. Elle est comme décalée. C’est avec le troisième album, Surfer Girl, que Brian Wilson va enfin se révéler dans tout son génie. Les compositions s’éloignent dans leur facture de la pop ou du rock traditionnels et on entre dans une autre dimension. Les harmonies vocales sont beaucoup plus élaborées, les mélodies également. Les textes, tout en restant dans la même ambiance, sont beaucoup plus personnels et certains vers, pleins de subtilité, touchent droit au coeur. Un grand auteur compositeur est né. C’est également l’album sur lequel il devient enfin le producteur, c’est à dire le réalisateur artistique des disques des Beach Boys.
Surfer Girl est une chanson sur le fait de tomber amoureux au bord d’une plage d’une personne dont on pense, en tout cas sur le coup, qu’elle est la plus charmante fille que l’on ait jamais rencontrée. Les voix sont envoutantes à souhait et ont dû en faire craquer plus d’un ou une. Brian Wilson pensait que c’était sa première véritable composition.
In My Room est un morceau terriblement autobiographique pour Brian. On y sent à quel point sa chambre d’enfant et d’adolescent a pu être un refuge contre la fureur paternelle et ce monde extérieur qui le terrorisait.
Pour rester dans cette ambiance adolescente, après avoir magnifié les filles, le surf, la plage et les voitures, il était logique que les Beach Boys évoquent leur attachement à leur école avec Be True To Your School :
Le cinquième album contient quelques compositions remarquables. Fun, Fun, Fun raconte l’histoire d’une jeune fille qui emprunte en cachette la voiture de son père pour aller faire la fête avec ses amis. A notre époque, ça semble banal mais, au début des années 60, cette chanson à succès avait tout pour choquer les parents. Selon la légende, cet “appel au fun” n’était pas du tout du goût de Murry Wilson qui était encore le manager du groupe ces années-là.
Don’t Worry Babe est une chanson envoûtante où le timbre de la voix de Brian Wilson va directement au coeur.
The Warmth Of The Sun décrit la solitude de quelqu’un qui n’a plus que la chaleur du soleil pour se consoler du départ de celle qu’il aime.
Tout en restant dans une ambiance californienne, les chansons sont beaucoup plus réalistes, ce sont de vraies histoires auxquelles chacun peut s’identifier.
Le défi des Beatles
Entre temps, les Beatles ont déferlé sur les Etats Unis et leur popularité grandissante met directement en péril celle des Beach Boys. Brian va répliquer à sa manière et se dépasser.
I Get Around est certainement l’une des chansons les plus connues des Beach Boys, une parfaite carte de visite pour ce groupe. Le falsetto de Brian sur le refrain est un modèle du genre.
All Summer Long célèbre la vie en été et le son du morceau donne presque la sensation de sentir le soleil sur sa peau.
Girls On The Beach est comme une petite soeur de Surfer Girl mais aux harmonies encore plus complexes. Et au contenu beaucoup moins platonique 😉
Pour beaucoup d’artistes américains, faire un album de Noël est un passage obligé. Les Beach Boys se plient à cette discipline et vont nous donner un White Christmas qui ressemble plus à du Beach Boys qu’à une chanson de Noël.
Brian arrête les tournées
Une personnalité fragile et instable supporte mal la pression engendrée par le vedettariat et Brian vit de plus en plus mal le fait d’être en tournée tout le temps et d’avoir peu de temps pour composer.
Suite à une dépression nerveuse pendant un voyage en avion, il annonce au groupe fin 1964 qu’il ne repartira pas en tournée et il est remplacé sur scène par Glenn Campbell puis, plus tard, par Bruce Johnston.
Pendant que les Beach Boys tournent régulièrement, il se concentre désormais sur la composition et les arrangements.
Plus loin dans les innovations
The Beach Boys Today ! marque encore un tournant dans leur carrière. Il apparait comme un concept album avant la lettre. Beaucoup d’instruments additionnels habituellement peu utilisés se rajoutent aux arrangements.
Do You Wanna Dance
Dance, Dance, Dance
Dans le neuvième album, on trouve l’immortel California Girls à l’introduction énigmatique et aux choeurs envoûtants.
Suit Barbara Ann qui passera à la postérité.
Voilà ! Les Beach Boys auraient pu s’arrêter là et seraient restés dans la mémoire collective comme un très grand groupe des années 60, générant en nous des images inoubliables, pleines d’émotion et de ravissement, sur ce qu’a pu être la Californie. C’était sans compter avec le talent de Brian Wilson, car le meilleur reste à venir 🙂
La prochaine fois : le chef d’oeuvre