UN VÉRITABLE ANTI – DROITS DES FEMMES
La pertinence du conseil donné par Simone de Beauvoir aux femmes et à celles et ceux qui sont convaincus que l’égalité des droits des deux sexes est la base d’une société juste, est plus que jamais avérée par les divers événements qui bousculent l’actualité récente. Sans doute l’écrivaine féministe avait-elle anticipé cette situation en invitant à « ne jamais oublier qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant. »1
Jamais, alors que de nombreux progrès avaient contribué ces dernières années à l’amélioration du statut des femmes et à la déconstruction des discriminations de genre, ici en France, ailleurs à l’Ouest de l’Europe, au cœur de l’Afrique, au fond de l’Amérique du Sud ou aux confins des États-Unis, les droits des femmes n’ont été l’objet de tant de menées destructrices.
En juin 2022, le « backlash » a fait la une de plusieurs médias français, pour décrire ce qui se jouait dans l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade. Cette décision de la Cour suprême des ÉtatsUnis a remis en cause le droit à l’avortement. Le terme « backlash » – traduit par « retour de bâton » en français et théorisé pour la première fois par Susan Faludi, journaliste américaine – est communément utilisé pour désigner l’action de mouvements conservateurs et « masculinistes » qui réagissent violemment dès que les droits des femmes connaissent de nouvelles avancées. Ils déploient des stratégies non seulement pour saper ces progrès, mais aussi pour faire reculer les droits des femmes de façon générale.
Un récent rapport2 démontre l’existence d’un véritable front anti-droits des femmes rassemblant des mouvements qui « se retrouvent autour d’un projet de société commun, basé sur une vision sexiste et hétéronormée de « la » famille et de « la » sexualité et sur le contrôle du corps des femmes. ». Un autre rapport3 portant sur une période de dix ans décortique l’action de plus de cinquante acteurs anti-genre opérant en Europe et démontre que leurs interactions dans la propagation de cet arsenal idéologique est financée par des fonds qui proviennent de « la dark money de la droite chrétienne américaine, mais aussi de la Russie ».
A ces fonds de l’ombre s’ajoutent des soutiens en provenance d’élites sociales et économiques qui œuvrent à visage plus ou moins découverts, y compris en France, à l’image de Claude Bébéar, fondateur du géant de l’assurance AXA, réputé proche de l’Opus Dei ou du vicomte Philippe De Villiers qui aurait financé le mouvement anti-genre de la Fondation Lejeune. En 2006 la Mission interministérielle française de veille et de lutte contre les sectes (MIVILUDES) avait décrit un mécanisme sophistiqué de collecte de fonds développé par la puissante association Tradition, Famille et Propriété (TFP), spécialiste de « l’astroturfing », technique consistant à simuler un mouvement spontané ou populaire pour influencer l’opinion.
Plus étonnant, de nombreuses organisations bénéficient du soutien des pouvoirs publics pour conduire leurs opérations d’activisme anti-genre. Ainsi, entre 2009 et 2018, les financements accordés par l’Union Européenne aux mouvements anti-genre a atteint un total de plus de 408 millions €. Ces financements publics sont concentrés dans cinq domaines principaux : induire les femmes en erreur, notamment celles qui souhaitent avorter, endoctriner les jeunes, servir de chambre d’écho aux gouvernements favorables à des politiques anti-genre, l’activisme politique et la diplomatie d’influence anti-genre.
Grâce à ces ressources, des mécanismes très sophistiqués sont mis en place pour canaliser l’activisme de certains adeptes des réseaux sociaux et les transformer en acteurs politiques anti-genre.
Ces mouvements, pour hétérogènes qu’ils soient, fédèrent une vaste collection de profils équipés d’armes de destruction très variées. S’y retrouvent des nostalgiques d’ordres anciens, des dominateurs frustrés, des dictateurs assoiffés, des prédicateurs sans foi ni loi, des tricheurs invétérés et d’autres escrocs viscéralement opposés au progrès humain, mobilisant sans vergogne menaces, mensonges, sévices physiques ou mentaux et autres crimes.
UN « BACKLASH » À L’ŒUVRE PARTOUT DANS LE MONDE
La liste est longue des atteintes dont les femmes sont actuellement victimes, certaines payant ces agissements de leur vie, d’autres perdant les bénéfices d’ardents combats plus ou moins récents, toutes, notamment les plus jeunes, réalisant que leur avenir peut être marqué d’un retour en arrière par rapport à des perspectives de parité et d’égalité qui leur paraissaient acquises à jamais.
L’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, l’Ukraine… sont depuis plusieurs mois le théâtre de crimes contre l’équité dû aux femmes, au motif qu’elles rejettent les modes d’organisation sociale empruntés à des dictatures, qu’elles refusent les contraintes imposées par des religions, qu’elles s’associent aux combats contre des envahisseurs, qu’elles critiquent les privations d’étudier qu’elles subissent ou qu’elles revendiquent le droit à disposer de leur corps.
Plus inquiétante est la multiplication des reculs des droits accordés aux femmes de longue date, observée dans certains pays chantres du respect des droits des citoyennes et des citoyens ou des principes et des valeurs de la démocratie. Ainsi des dispositions projetées ou mises en œuvre par certains États américains en matière d’avortement. Ainsi également en France où de nombreux responsables politiques sont maintenus à leur poste alors qu’ils sont mis en cause pour des faits de violences sexistes ou sexuelles.
LA DÉNONCIATION POLITIQUEMENT CORRECTE NE SUFFIT PLUS
De nombreuses données prouvent qu’un climat aussi délétère, s’il contribue indubitablement à miner la santé physique et mentale des femmes, contribue incontestablement à libérer tous les fantasmes des frustrés du patriarcat et explique en partie le développement spectaculaire des crimes et violences sexistes, souvent impunis, dont sont victimes les femmes et les filles, dans leurs contextes privés et professionnels.
Cet état des lieux impose une vigoureuse mobilisation de tous les acteurs susceptibles de mettre fin à ces régressions criminelles qui fissurent la cohésion sociale et rongent le vivre ensemble. Parmi eux, les « mouvements féministes (qui) jouent un rôle important dans l’obtention et l’avancement des droits des femmes sur un large éventail de questions, notamment la violence à l’égard des femmes, les droits économiques, y compris l’accès aux services de garde d’enfants, les droits de succession et les droits fonciers, les droits reproductifs et la représentation politique »4. À défaut, il risque d’être bientôt trop tard pour sauver les acquis résultant de l’engagement et des luttes de générations passées, que l’honneur et le respect imposent de défendre pied à pied. Il est largement temps de passer de la parole aux actes, de remplacer la dénonciation politiquement correcte par la résistance active contre les mercenaires du sexisme et les barbares de l’anti-genre.
1Réaction de l’écrivaine face à l’enthousiasme de certaines féministes suite au discours de Simone Veil à l’Assemblée Nationale en novembre 1974, prélude à la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse
2https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2023/02/Rapport_Backlash.pdf
3https://www.epfweb.org/sites/default/files/2022-03/EPF_EN_TOTI_9SEP%20DEF-FR_Final%20.pdf
4https://www.mamacash.org/fr/le-fonds-revolution