David Lescot ? Un homme bourré de talents : écrivain, compositeur, metteur en scène qui alimente furieusement la scène française de spectacles originaux et créatifs. Artiste associé au théâtre de la Ville, il crée à l’Espace Cardin sa deuxième comédie musicale La force qui ravage tout après Une femme se déplace.
Une comédie musicale en France ?
Franchement a-t-on souvent l’occasion de voir un spectacle chanté et dansé en France, qui ne soit pas une reprise de succès comme Starmania, actuellement joué à la scène musicale ? L’ombre de Broadway reste aussi bien intimidante.
Pourtant il y a une tradition du théâtre chanté en France qui remonte au vaudeville né au XVème siècle, à l’origine une chanson gaie et satirique. Une bifurcation vers l’opéra-comique au XVIIIème siècle mais le vaudeville résiste. On attendra Labiche et Feydeau pour faire du genre une comédie brillante entre chants, quiproquos et portes qui claquent à la limite de l’absurde tout en brossant un tableau de mœurs redoutable de la bourgeoisie du Second Empire.
Qui dit comédie musicale à la française énumère d’une seule voix les opéras-rock comme Jésus-Christ Superstar ou bien encore Notre-Dame de Paris, Les Dix commandements. D’énormes productions qui se rapprochent des mastodontes américains.
David Lescot a l’immense mérite de rester près de l’esprit du vaudeville avec des moyens beaucoup plus faibles que celles des grosses comédies musicales et de proposer un spectacle hybride qui laisse une large part au texte dialogué, dont les mots finissent par se transformer en chant, de sorte que le glissement s’opère naturellement. Une petite formation musicale de quatre instrumentistes accompagne les comédiens en jouant tous les styles avec des instruments classiques et électroniques .
Une construction chorale
La comédie musicale démarre sur un opéra baroque L’Orontea du compositeur italien Antonio Cesti dans lequel l’amour s’avère le but essentiel des personnages. À la sortie du spectacle, imaginez une demi-douzaine de couples plus ou moins bien assortis qui demandent au partenaire : « Ça t’a plu ? » La question s’avère un révélateur de leur vie sentimentale, un détonateur et une prise de conscience. L’art produit un choc esthétique : il a donc le pouvoir de chambouler les êtres et de remettre en question ce qu’il y a de plus intime : l’amour dans un couple. Euphorie, affrontement, délire, colère… Les scènes défilent, variées et ingénieuses, présentant tout à tour des couples déstabilisés.
Sur un rythme échevelé, les décors se succèdent : les tables à roulettes du restaurant font place à un lit où tour à tour les couples se glissent, puis on les retrouve dans un hôtel ou dans un bureau open-space ou encore à la tribune du parlement européen. Des changements si rapides et assumés qu’ils donnent la mesure de l’humour et de la fantaisie de David Lescot. Des rôles multiples pour les comédiens dans une chorégraphie au cordeau. La partition musicale très présente crée un va-et-vient constant qui fluidifie les transitions. On sort un peu sonné de tant d’énergie dépensée dans la rapidité électrisante du jeu de scène.
Un plaisir loufoque.
Des drôleries dans la mise en scène, il y en a ! Le fil narratif s’enfle de péripéties, de retours dans le passé de certains personnages, d’excroissances narratives dont on ne voit pas vraiment le lien avec le bouleversement amoureux, comme les scènes au Parlement européen. Ce n’est pas grave car à entendre les rires dans la salle, l’esprit un peu déjanté de David Lescot fait son office et beaucoup entrent dans cet univers original malgré quelques longueurs et répétitions. Des interprètes formidables comme Ludmilla Dabo et Elise Caron entre autres, constamment énergiques, survoltés, rendent ce moment de spectacle divertissant. On a bien besoin.
Ils sont peu nombreux, les spectacles qui articulent musique, danse et théâtre avec habileté et gaieté, et qui proposent une radiographie amusée des couples d’aujourd’hui. Des visages heureux au bout des deux heures de spectacle. Un bon moment, vraiment.
La Force qui ravage tout, de David Lescot, au Théâtre de la Ville, 1 avenue Gabriel, Paris 8e, jusqu’au 27 janvier 2023.
En tournée :
Théâtre Olympia, CDN de Tours
du 1er au 4 février
Château Rouge, scène conventionnée d’Annemasse
les 28 février et 1er mars
Théâtre de Rungis
le 10 mars
L’Archipel, scène nationale de Perpignan
les 16 et 17 mars
MAC, Maison des Arts de Créteil
du 25 au 27 mai
Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper
le 8 juin