Profitons des fêtes pour faire un peu d’auto-promotion ! S’il est un ouvrage que vous vous devez procurer sans attendre, c’est bien le mien, le dernier : Chroniques Familiales, Roman Polybiographique Décousu. Comme le titre l’indique, c’est familial, c’est décousu. Comme le titre ne l’indique pas, c’est excellent.
Comme il serait malvenu pour un auteur de faire une critique de son propre livre, je me permets de vous en offrir quelques extraits. A la fin, commandez !
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Mon arrière-grand-père Jean-Baptiste Colonna
Les fous de Balogna
Toute ma jeunesse, nous avons considéré les gens de Balogna comme des fous. Ce n’est pas que nous ne les aimions pas, mais nous disions et pensions, qu’ils étaient cinglés. Quand ils arrivaient au village – quand je dis au village, c’est mon village, bien sûr – nous savions qu’il allait y avoir du grabuge. Et je savais, parce que c’était la sagesse populaire, qu’ils étaient plus fous que les autres. Balogna, c’est un village perché sur la montagne, pas très loin de Cargèse à vol d’oiseau, mais par la route c’est plus compliqué et on n’est pas des oiseaux. Il doit y avoir deux centaines d’âmes l’hiver, sans compter les morts. « C’est des fous », disait-on. Au point que si on disait « il est de Balogna », c’est comme si on disait « il est barge ». Et nous considérions que tout cela était bien entendu génétique et se transmettait de père en fils ad vitam æternam. Un jour, après la mort de mon grand-père Lucien, mon oncle Dominique et moi avons entamé une recherche dans les registres d’état civil pour connaitre les origines de sa famille génétique. Comme je l’ai déjà dit, mon grand-père avait été abandonné par son père et sa mère adultérins et recueilli par les Mattei de Cargèse. Nous avons finalement découvert qui était son père naturel. Il s’appelait Jean-Baptiste Colonna. Il était douanier. Mais surtout… il était de Balogna.
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Mon frère Willy-Mike
Le transporteur
Mon petit frère Willy-Mike sait conduire tout ce qui roule. Camions citernes, bus, voitures, motos, transports de matériaux dangereux, il a tous les permis. Vous me direz, c’est une passion qui a commencé jeune. Quand Willy-Mike avait onze ans, mon père était très respectueux des lois. Du coup, s’il avait passé une soirée un peu trop alcoolisée, il se refusait à prendre le volant pour ramener la famille à la maison. C’est donc mon petit frère qui s’asseyait à la place du conducteur, trouvait tant bien que mal un moyen d’atteindre les pédales en tendant ses jambes et ramenait tout le monde à bon port. On peut lui faire confiance.
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Mon grand-père Lucien
Les bandits d’honneur
Petit, je pensais que les bandits corses étaient des gens d’honneur, puisqu’on les appelait, en tous cas certains d’entre eux, les bandits d’honneur. Cela les rendait assez attrayants, voire héroïques. J’appris plus tard que les bandits d’honneur étaient avant tout des bandits et que le qualificatif honorifique était uniquement justifié par le fait que leur premier crime était souvent causé par le besoin de laver l’honneur d’un proche. Mais surtout, mon grand-père m’avait raconté une fois son expérience personnelle qui n’avait rien de véritablement sexy. Alors que je lui disais que pour plus tard, j’envisageais une carrière de bandit, il fit la grimace et me dit : « Comme Spada ? » Spada fut l’un des plus grands bandits que la Corse ait connu et on dit souvent de lui qu’il était le « dernier bandit d’honneur ». Il fut guillotiné en 1935 devant la prison de Bastia, après onze ans de cavale dans le maquis et deux ans de détention. Il avait été reconnu coupable de quatorze meurtres qu’il avait tous avoués. C’était cependant moins que ceux de son bourreau venu du continent pour œuvrer au nom de l’État, le très officiel Anatole Deibler, qui avait trois-cents-quatre-vingt-quinze décapitations à son actif le jour de sa mort. « Spada, me raconte alors mon grand-père, était un homme détestable. Je me rappelle, me dit-il, quand il venait au village, il entrait dans le café et alors il fallait fermer toutes les portes et personne n’avait le droit de sortir tant qu’il y était, de crainte que l’un d’entre nous aille chercher les gendarmes. Et nous étions terrorisés, parce que tout le monde savait qu’il tuait facilement. Ca durait généralement des heures. Un jour, alors que je devais avoir quatorze ans, continua-t-il, Spada m’a obligé à aller prendre la barque de pêche pour l’emmener à Piana, parce que les routes étaient peu sûres pour lui à cause des gendarmes. Il m’a fallu ramer pendant des heures avec un fusil pointé sur moi. A l’arrivée, je n’étais même pas sûr que j’allais rester en vie. Mais surtout, il n’était absolument pas sympathique et se croyait au-dessus de tout et de tous. » Mon grand-père pensait m’avoir convaincu. Moi, je ne voyais pas vraiment le problème avec ce qu’il m’avait raconté. Tout cela me semblait assez justifié et pas si méchant que ça. Mais ça a quand même fait son chemin, parce qu’un homme dont le principal effet est de terroriser les autres, c’est rarement quelqu’un de bien.
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Tonton Jérôme
Sans les yeux
Le vieux Tonton Jérôme était-il vraiment un oncle ? Franchement, aucune idée. Mais c’est comme ça qu’on l’appelait. Il habitait en face de chez nous, au fond d’un jardin touffu. C’était un pêcheur émérite avec des bras de pêcheur émérite. J’aimais bien aller le voir quand j’étais petit – après il était mort – parce qu’il était vraiment gentil. Il était aveugle. Depuis la guerre, la première. Moi, je ne pouvais m’empêcher de penser quand je le voyais : ça doit être cool de voir sans les yeux. Pour moi, un aveugle c’était ça : quelqu’un qui voit sans les yeux.
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Mon arrière-grand-père Eugène Georges
Un trou dans sa carte
Le père de ma grand-mère Jeanne, Eugène Georges, est mort à Verdun en septembre 1917, dans une tranchée, comme c’était la mode dans ces années-là. Abraham Lincoln avait prononcé un discours célèbre qui disait « un bulletin de vote est plus fort qu’une balle de fusil ». Mais quid de la carte d’électeur ? Parce que la balle qui toucha Eugène Georges au cœur avait traversé son portefeuille et la carte d’électeur rose qui s’y trouvait. Elle ne lui avait été d’aucun secours. La dernière lettre qu’il avait écrite à sa femme disait ceci : « Ma chérie, rien de nouveau. Je me porte bien et vous embrasse toutes bien fort. (Signé) Georges. PS : Il pleut, c’est l’orage, ce n’est pas gai. » Cinq jours plus tard il tombait au champ d’honneur. Voilà ce que c’est que de se laisser aller à la déprime. Les huiles qui l’avaient envoyé là et qui lui avaient donné sa carte d’électeur, je suis sûr qu’elles supportaient bien mieux le mauvais temps, sans se laisser aller à la déprime, elles, dans leurs appartements parisiens.
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Mon arrière-arrière-arrière-grand-père Hyacinthe
Vivent les remplaçants
Mon aïeul Hyacinthe Colonna, né à Balogna en 1771, dont découla finalement le père génétique de mon grand-père Lucien, avait eu quinze enfants à partir de 1812, dont sept garçons. A l’époque, le service militaire était obligatoire et durait cinq ans, mais sur tirage au sort. Ce qui veut dire que sur cent hommes, seuls trente-cinq tirés au sort étaient appelés pour faire les cinq ans sous les drapeaux. Cependant, aucun des sept enfants de Hyacinthe ne fit son service militaire, ce qui est statistiquement étonnant. En fait, la vérité se moque de la statistique : Hyacinthe était plutôt aisé et à l’époque, on pouvait payer un remplaçant pour faire le soldat à sa place, ou à la place de ses enfants. C’était grâce à Napoléon qui avait institué cette possibilité. Si les républicains n’avaient pas aboli ce système et s’ils l’avaient étendu à l’appel en temps de guerre, Eugène Georges dont j’ai parlé auparavant aurait peut-être pu voter grâce à sa carte d’électeur après 1917. Un autre serait mort à sa place. Mort, mais moins pauvre.
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Ma mère Francine
L’Amérique, l’Amérique
Ma mère n’aimait pas les américains. Une sorte d’anti-américanisme à l’ancienne. Elle les trouvait primaires et pensait qu’un américain, c’était soit Georges Bush soit John Wayne. Moi qui étais un immense fan de westerns, je ne la comprenais pas. Cependant, un jour, elle accepta l’invitation d’une amie à aller visiter le Nouveau Monde. Elle partit donc pendant un mois pour un véritable road trip à travers l’Ouest sauvage et fut submergée par ses beautés regorgées, de la Vallée de la Mort au Grand Canyon. Quand elle rentra, elle n’était plus anti-américaine. Je trouvais cela affligeant. En effet, c’était comme si j’avais téléphoné à une fille et l’avais trouvé d’une bêtise crasse, puis qu’en la croisant je m’étais rendu compte que c’était une beauté sublime de fond en comble, formellement parlant et que du coup je sois revenu en disant : « Nan, en fait elle est sympa. » Amérique, ne te laisse pas berner ! Il y a ceux qui t’aiment vraiment et ceux qui n’en ont qu’après ton corps.
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Mon grand-père Lucien
L’occupant italien
Au printemps 1943, mon grand-père avait fait le voyage avec sa femme et son fils – à l’époque il n’en avait qu’un et pas encore de fille – vers la Corse, quittant l’occupant allemand parisien pour rejoindre l’italien, qui avait commencé à envahir la Corse en novembre 1942. Un jour je lui ai demandé comment c’était, l’occupation italienne. Il m’a répondu : « Ca n’a rien changé. A Cargèse, on parlait corse et ils parlaient italien et on se comprenait. Ils ont passé les dix mois de l’occupation au café, à jouer aux cartes. Ils étaient contents d’être là, ça leur faisait des vacances. » Même si ça n’a pas été vrai de tous les occupants italiens en Corse – les chemises noires ont rarement été sympathiques – et de tous les villages, c’était tout de même assez proche de la réalité. Dès l’armistice signée avec l’Italie par les alliés en septembre 43, les soldats italiens tournèrent leur veste et participèrent à la chasse aux allemands avec les Corses et les Français. J’imagine que les vacances avaient assez duré.
Chroniques Familiales, Roman Polybiographique Décousu
Éditeur : Le Nouvel Athanor
Broché : 125 pages
ISBN-10 : 2356231102
ISBN-13 : 978-2356231109
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