11 janvier 2008 – 9h du matin
Quinze heures de vol pour larguer la longue nuit d’hiver parisienne et soudain nous arrivons en plein bleu, en plein soleil. L’avion, enfin, atterrissait et la lumière éclaboussait la ville.
L’espace d’un océan, le temps d’imaginer Mermoz scrutant la cordillère des Andes, le temps de quelques nuages et d’un éclat de lune, nous faisons, éblouis, nos premiers pas à Santiago ! Enfin, le sol chilien … Allende et Pinochet, Violeta Parra, Pablo Neruda, Luis Sepulvéda, Victor Jara, Quilapayun, et tant d’autres … Que de visages, de révoltes, de chansons et de poèmes. Magie de la mémoire qui laisse filer émotion forte et larmes furtives ! Et la ville le plus souvent dominée par un solide brouillard nous fait en prime ce petit matin-là, cadeau d’une cordillère insolente de beauté !
Nous ignorerons les tours, le bruit et la pollution pour découvrir en silence intérieur tout ce que j’aime dans ces villes d’Amérique latine : les places et les marchés, les palais, les églises et les musées. Tout ici est chargé de souvenirs et trois jours durant, l’histoire accompagnera chacun de nos pas !
14 janvier 2008
Rano Raraku, Ahu Tahai, Ahu Vinapu Ahu Akakanga, Te Pieto, Te Kura, Arakena. Autant de sonorités singulières et de sites improbables. Ici, tel village, là, tel sanctuaire, telle ile ou tel volcan. Nous sommes à Rapa Nui, (découverte en 1722 le jour de pâques !), 180 km2 ancrés en plein Pacifique. L’île la plus éloignée du monde habité. Des volcans et des labyrinthes, des cavernes, des grottes, des côtes rocheuses, et, tout autour, la mer et le soleil à n’en plus pouvoir. L’extraordinaire offrande en plein mois de janvier.
Jour après jour, nous nous apprivoisons au silence de l’île et à la douceur polynésienne. Paris et le stress sont bien loin. Aucun embouteillage hormis quelques troupeaux de moutons indisciplinés au milieu des pistes. Nous mesurons nos pas et nous découvrons, émus et totalement sidérés les moai[1] dont le plus grand – 18 mètres – nous contemple du haut de sa grandeur. Celui-là semble, tout simplement, nous attendre ! Nous le saluons respectueusement.
Ce matin-là nous sommes seuls auprès des hare fantaga[2], des Ahu[3] et des grandes statues. Nous sommes en plein étonnement : qu’ont pu ressentir les découvreurs qu’étaient La Pérouse, Cook ou même Pierre Loti… à l’instant même de leur rencontre avec ces géants ?
Pour ma part, rien d’autre dans le monde, du moins pour ce que j’en connais, ne provoque un tel choc. Si, peut-être, le Machu Picchu au Pérou, les monastères tibétains de l’Himalaya ou les ruines des temples de Tikal au Guatemala. Mais à cette minute exacte, ce coin de terre posé en plein océan avec son poids de mystères et d’interrogations fait surgir des émotions insoupçonnées !
Entre les collines et les carrières, il reste au voyageur à faire son chemin près des moai couchés, ceux qui sont fièrement dressés sur leur Abu, celui qui, solitaire, nous fixe avec son regard de corail blanc, ceux qui se rassurent en bande, couverts de leur pukao[4], tous nous interrogent ! Ils sont porteurs de divinités et d’une bien longue histoire à déchiffrer.
Les hypothèses tentent d’expliquer « comment » ces grandes statues de pierre ont pu arriver jusqu’ici ! Les débats sont interminables et, à la tentation d’en savoir davantage, nous préférons la liberté de l’esprit et la surprise des découvertes. Elles nous sont données sans compter…
Ici encore quatre journées magiques pour remonter le temps entre village cérémoniel et sanctuaires religieux, mesurer la chance de ces minutes qui ne se renouvelleront jamais et, tout simplement épouser le soleil !
18 janvier
San Pedro, capitale du désert d’Atacama (2 440 mètres d’altitude)
Autrefois étape importante entre Altiplano et Pacifique, plus récemment halte pour les troupeaux argentins, et aujourd’hui lieu étonnant où déambulent les voyageurs du monde entier en recherche d’exploration et d’insolite !
San Pedro seul et unique point de départ. Au premier regard, rien de bien extraordinaire : quelques rues en terre battue bordées d’attrape-tout ! Cybercafés, hôtellerie débordée, marchands de souvenirs, et cependant une ambiance inimitable qui pourrait rappeler celle de Katmandou à l’heure babacool !
On aime ou on n’aime pas ! Mais de ce lieu, de toute cette poussière et de cette activité quelque peu mercantile, je garderai au cœur l’invitation aux grands espaces d’altitude et le souvenir de cette petite église mille fois entrevue sur la chaîne « Voyage ». Mille fois photographiée, toute blanche, avec son plafond en bois de cactus, elle résiste sur la place des Armes au flot continu des visiteurs. À l’intérieur quelques indiens prient et chantent : on est soudain dans un tout autre monde.
Le soir venu, les restaurants ouverts sur le ciel (il ne pleut jamais, dit-on, à San Pedro) allument un grand feu dans les cours. On se raconte les expéditions du jour. Quelques notes de guitare s’élèvent. Le moment est magique.
Il fait calme au cœur de l’oasis !
19 janvier
Rien d’autre que le sable et le sel sur quelques centaines de kilomètres entre cordillère et océan ! Des sommets à 6 000 mètres, des lagunes transparentes à plus de 4 000, des flamants roses qui viennent se désaltérer, des pukaras en ruine témoins de bastions de résistance indigène. Au cœur du village de Toconao, la petite église toute proche des vergers chargés de figues, de poires et de coings ; cette autre à Chiuchiu qui nous mène à de mystérieux pétroglyphes. Journées où les pas se promènent entre sérénité et émerveillement. Pour la mémoire, ces minutes inattendues en bordure de la lagune Chaxa. Assis sur un banc de pierre, nous et Eduardo notre guide, nous écarquillons les yeux pour voir les flamants et soudain, parce qu’il nous sait passionnés de poésie, Eduardo se met à dire un long poème… Il n’y a que nous, les oiseaux aux longues pattes et, immense, la lagune où se reflète le soleil !
Autre moment inscrit pour l’éternité, l’heure quasi religieuse en plein cœur de la vallée de la Lune, dans l’attente du coucher de soleil. Au pas des nomades, chacun gravit la dune immense où prennent place des centaines de voyageurs venus pour admirer et saluer l ‘« évènement ». Lorsque le soleil plonge vers l’horizon, après une longue hésitation, la cordillère de sel et les volcans se font brasier. Les couleurs se démultiplient et nous assistons, impuissants à le retenir, au mélange extraordinaire et fugitif des pourpres et des ors…
Le jour s’achève et la foule redescend en silence vers San Pedro.
Que sera demain ? Que seront les autres étapes dont nous rêvons ? Valparaiso ? Torres del Paine ? Puerto Montt ? Ushuaia ? Patience. Vivre le moment présent.
Tout est calme à San Pedro. Il est tard. L’électricité est coupée depuis longtemps. Une myriade de bougies nous accueille aux fenêtres. Le village fait silence.
Ainsi va la nuit sur le désert que l’on dit le plus aride du monde !
[1] Statue anthropomorphique
[2] Maison traditionnelle en forme de barque renversée
[3] Plateforme sur laquelle sont dressés les moai
[4] Coiffe de pierre