Le monde est tenu par les vies invisibles ou presque. Depuis toujours. Mais elles seules permettent à d’autres de prendre un peu de lumière. Tel un tissu infini saupoudré de sequins. Ma mère était de ces vies-là. Douceur absolue, discrète – et inquiète. Pour les petits et les grands, pour les humains et les bêtes, pour l’éternité et le jour à venir. Incarnation du mot maman, que j’ai eu le bonheur de connaître. Quand je l’ai laissé partir une dernière fois d’entre mes bras, dans le sillage étrange des heures qui ont suivi, guidée par le souvenir d’un indice lointain, j’ai découvert deux pages écrites de sa main. Inattendues, à peine raturées, humbles et retenues. Comme lorsqu’on lève les yeux sur un mystère.
« Il est difficile d’écrire sur la mort puisqu’on ne la connaît pas et l’on ne sait rien d’elle, et que sa connaissance rendra l’écriture impossible.
Nous savons qu’elle est inévitable, car toute notre vie s’inscrit entre la naissance et la mort.
Nous l’observons dans la nature, dans l’univers des plantes et des bêtes. Sans toujours l’accepter, nous voyons le cycle de la vie et la comprenons telle une chose naturelle. Il est plus difficile de l’admettre lorsqu’il s’agit de l’homme, mais si l’on regarde en arrière pour voir l’histoire de l’humanité, la chaîne des générations et la marche du monde, on reconnaît une logique et on ne peut imaginer tous les êtres ayant existé vivre toujours ensemble. Force nous est donc de constater que la mort est logique et nécessaire. Pourtant si elle touche à nos proches, nous sommes incapables de nous résigner, révoltés contre l’ordre des choses accepté par ailleurs.
Impossible alors de nous figurer seulement notre propre mort : elle échappe à notre imagination. Une fois appelés à la vie, nous ne savons plus admettre la possibilité de ne pas exister. Notre pensée et notre imaginaire sont encadrés par les limites que constituent la naissance et la mort. Et même si nous imaginons la fin biologique de notre corps, la conscience, notre « moi » profond refuse absolument le néant. Nous portons en nous, tout au fond, le principe de l’infinité, sans pour autant la concevoir réellement, de même que le retour au non-être. Il reste donc l’existence dans une autre dimension, une autre forme de réalité, mais laquelle ? Cette question reste sans réponse. Ceux qui croient trouvent de l’aide dans la foi, qui donne l’espoir d’un au-delà où nous sommes appelés, et dès lors, la mort devient une simple frontière, un seuil à dépasser.
Qu’est-ce que la mort ? Ce que nous savons d’elle, notre connaissance ou celle des autres, ne concernent pas la mort même, mais plutôt l’expérience de ce qui la précède : maladie, souffrance, angoisse ou apaisement silencieux. La mort elle-même est un grand mystère, accessible uniquement à celui qu’il touche, un secret intransmissible.
Notre rapport à la mort varie selon chacun et évolue en fonction de l’âge, de la psyché et de notre vécu. Nous pouvons l’ignorer ou la prendre à la légère, la redouter ou tenter de l’apprivoiser et l’accepter, mais ne savons jamais ce qu’elle sera pour nous au moment ultime de sa venue. »
Regina Orszulak
traduit par Nadia et Bojenna Orszulak