La Cour Européenne des Droits de l’Homme vient de se prononcer sur une affaire d’euthanasie (en Belgique) pour la première fois. La Cour a condamné la Belgique pour un manque de garanties dans le contrôle a posteriori des actes d’euthanasie. En l’espèce, le médecin qui avait pratiqué l’euthanasie sur une personne dépressive, avait ensuite siégé dans la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie chargée d’évaluer chaque acte d’euthanasie exécuté en Belgique. Il lui a donc été possible d’être à la fois juge et partie et la Cour a estimé qu’un tel manque d’indépendance de la Commission était dangereux et violait la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Cependant, la Cour a jugé que la Convention ne s’opposait pas à la pratique de l’euthanasie en soi, de quoi refroidir les « anti » et rassurer les « pro ». Alors que penser de cette pratique, faut-il y voir un danger pour notre société, ou un progrès dans le respect de la dignité humaine, un « droit de mourir dans la dignité » comme le clament ses supporters ?
On pourrait tout d’abord objecter que se suicider, en tant qu’acte humain, n’est pas forcément le mouvement le plus digne qu’un homme et une femme puissent exercer, et que d’autres temps auraient plutôt vu dans la résistance à la souffrance la clé pour mériter le qualificatif « digne ». Mais d’un autre côté, nous avons tous (où beaucoup d’entre nous, en tous cas), l’idée qu’il serait préférable de mourir plutôt que d’être dans un état de dégradation totale et de souffrance insupportable. Quid de la situation d’un grand brûlé dont l’état ne peut s’améliorer. Quid de ce qui nous arriverait si nous étions atteints d’un cancer des os incurable, en phase terminale, ne pesant plus que quelques kilos et n’ayant plus la force de bouger tout en n’évitant la souffrance qu’à hautes doses d’opioïdes ? Ce sont des situations extrêmes qui sont certainement celles qui font pencher le débat du côté de la légalisation de l’euthanasie.
La loi belge sur l’euthanasie, le modèle
Mais puisque nous parlons de la loi belge, et que c’est cette loi qui sert de modèle aux pays qui, comme la France, envisagent la légalisation de l’euthanasie, discutons-en les tenants. Depuis 2002, l’euthanasie est devenue légale en Belgique. 12 000 personnes ont été euthanasiées en Belgique à leur demande depuis vingt ans. Mais le nombre augmente rapidement année après année. En 2021 c’est 2699 personnes qui se sont fait euthanasier.
C’est un médecin – ou deux selon les cas – qui prend la décision de l’autoriser et de la pratiquer. La demande doit venir de l’intéressé lui-même bien sûr, et le médecin doit s’assurer que la demande est volontaire, répétée et réfléchie, et qu’elle ne résulte pas d’une pression extérieure. La personne, si elle est majeure ou mineure émancipée doit en outre être « dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable ». Pour un mineur non émancipé (oui, les mineurs peuvent aussi en faire la demande, s’ils ont la « capacité de discernement »), la situation est pour l’instant plus contraignante puisque qu’il doit être « dans une situation médicale sans issue de souffrance physique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui entraîne le décès à brève échéance ».
Ces formulations laissent une grande place à l’interprétation. Les motifs sont divers, mais la majorité des cas en 2021 concernaient des patients souffrant de cancers (62%). En ce qui concerne les souffrances physiques, la part d’arbitraire n’est pas mince. Une souffrance insupportable, c’est difficile à évaluer. Les gens réagissent différemment face à la souffrance. Pour Rambo, aucune souffrance n’est insupportable. Pour moi, la limite est clairement plus basse. Vient ensuite le critère de l’incurabilité. On pourrait croire qu’il est un garde-fou suffisant. Cependant, il a rapidement été considéré par la Commission que si vous refusez votre traitement, alors vous être incurable. Oui, c’est un peu déraisonnable, mais c’est vrai. Par ailleurs, la Commission a aussi estimé qu’en cas de polypathologie, le critère d’incurabilité était réputé rempli. On a donc des cas de patients âgés atteints d’incontinence, d’arthrite et de perte progressive de la vue, qui ont pu se faire euthanasier sans entraves. L’avocat Erwan Le Morhedec (bon, il est catholique, ce qui laisse planer un doute sur sa neutralité sur ce sujet, mais qui dit qu’il faudrait être neutre ?) parle même du cas d’une femme atteinte de DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Age, une maladie de la rétine pouvant mener à une perte de la vue) qui craignait d’être envoyée en maison de repos, à laquelle on a proposé l’euthanasie pour lui éviter ladite maison de repos.
Les souffrances psychiques
Pour les souffrances psychiques, la place de l’arbitraire n’est pas mince non plus, elle est totale ! Qui peut dire si une souffrance psychique est incurable ? Aucun soi-disant spécialiste de la question n’a jamais réussi à déterminer avec précision les causes d’une souffrance psychique. Personne ne peut prétendre qu’une souffrance psychique serait incurable, si ce n’est en disant « on ne sait pas soigner ça ». Mais comme ils ne savent soigner aucune maladie psychique, la porte est ouverte, la porte de la boite de Pandore. Oui, c’est une boite à porte, tant elle est grande. La personne euthanasiée dont le fils avait fait appel à la CEDH dans le cas précité était « dépressive ». C’est d’ailleurs le cas d’un grand nombre de personnes euthanasiées en Belgique.
Oui, être « dépressif » ça peut être difficile, voire conduire à des situations insupportables. Mais est-ce incurable ? Eh bien, certains diront oui, d’autres non, mais aucun médecin ne peut aujourd’hui scientifiquement dire que telle ou telle personne ne se sortira jamais de sa dépression, parce qu’ils n’ont aucune idée de sa cause réelle. Des gens sont dépressifs pendant plusieurs années puis cessent de l’être tous les jours. Parfois il semblerait d’ailleurs que la cause de la dépression soit à chercher dans des traumas, ou dans des relations « toxiques » comme on aime à dire aujourd’hui. Elles peuvent certainement être dues à des carences en vitamines ou en autres micro-nutriments dans certains cas. Quoi qu’il en soit, en ouvrant la porte aux souffrances psychiques pour avoir le droit de se faire aider par l’État dans son suicide (par l’intermédiaire d’un médecin), on permet que n’importe qui puisse arriver et dire « je ne vais pas bien dans ma tête, c’est insupportable et ça fait des années que ça dure, abattez-moi et n’en parlons plus ». Et le médecin de s’exécuter.
Il s’agit d’un choix crucial de société. Si l’on peut comprendre le suicide, et l’envie d’en finir de personnes qui souffrent, la question est de savoir si en tant que société, on doit favoriser le geste, et aider la personne qui veut se suicider à le faire. Certes, on peut imaginer des cas, certainement rares, où l’empathie nous dicterait d’aider quelqu’un à en finir. Mais en légalisant l’euthanasie, on ouvre la boite de Pandore. Aujourd’hui on écoute le dépressif nous dire à quel point sa vie est dure (et elle l’est certainement), et on lui porte, à sa demande bien sûr, le coup fatal. Et demain ? L’handicapé qui le vit mal pourra-t-il arguer du sentiment qu’il a que son handicap est insupportable pour obtenir le coup de grâce de son médecin ? C’est déjà le cas. En fait, il n’y a quasiment aucun garde-fou pour parer aux dérives inévitables qui se produisent dans les pays où l’euthanasie est légale.
Des dérives et un changement de paradigme
La loi Leonetti qui empêche l’acharnement thérapeutique est en fait assez bien adaptée (pas parfaite certes, mais la loi n’empêchera jamais la souffrance humaine) aux cas extrêmes des malades incurables en phase terminale. D’ailleurs, l’augmentation des doses de morphine dans les soins palliatifs s’apparente presque à de l’euthanasie dans certains cas car elle accélère grandement la débâcle des organes vitaux et abrège les souffrances du patient, et sa vie. Mais on parle là de gens qui vont décéder très rapidement de toutes façons.
Le reste (la légalisation de l’euthanasie), c’est la porte ouverte à toutes sortes de dérives, jusqu’au jour où un médecin pourra décider à la place du patient. Mais c’est surtout un changement de paradigme complet en ce qui concerne le rôle de la société, le rôle de la médecine, et le rôle de l’État. Jusqu’à maintenant, ces trois entités étaient censées aider l’humain à vivre. Là, elles vont l’aider à mourir. C’est loin d’être anodin.