L’expression a de quoi faire peur. Si elle signifie « sans retenue, à fond », prise en son sens littéral elle acquiert le sens de « en risquant sa vie ». Celui qui se jette, ou se lance à corps perdu dans quelque chose, prend le risque d’y perdre son corps. Et le corps, dans notre société matérialiste, c’est toute la vie.
Pour celui qui pense qu’il est son corps, et que toute sa vie est concentrée dans sa chair, se lancer à corps perdu dans une aventure est un risque qui ne se prend pas. Il y perdrait tout. C’est un peu comme faire « tapis » au poker, en pire.
Notre société voudrait que l’on prenne excessivement soin de son corps, car « tout le monde sait » qu’une fois le corps éteint, il n’y a plus rien. Même risquer de le blesser, fut-ce pour une noble cause, sort du cadre accepté de la vertu courage, pour entrer dans la case «témérité inconsciente». Comme le disait Brassens, « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort len-en-en-ente ».
Il faut donc, pour avoir l’audace d’encore vivre, se jeter ou se lancer à corps perdu, penser que certaines choses ont plus de valeur que notre corps. À titre d’exemple, Bossuet, dans son premier sermon, s’adressant à Jésus, prononçait ces mots: « Enfin, je me jetterai à corps perdu sur vous, aimable mort, et je mourrai avec vous. » Faut-il en déduire que seule la ferveur religieuse ou mystique peut nous conduire à oser risquer notre vie pour mieux et plus profondément la vivre? Certainement pas. Mais certainement faut-il une dose suffisante de spiritualité pour penser que l’amour, la foi, la passion, la beauté ou la justice méritent qu’on y risque son corps.
Risquer son corps n’est point risquer sa vie, car la vie, bien au-delà du corps, est cette force qui ne meurt pas
Il y a une forme de rébellion dans l’idée qu’il faut encore, aujourd’hui plus qu’hier, des hommes et des femmes qui soient prêts à se lancer à corps perdu dans l’aventure de la vie. Et il ne faut pas non plus s’en faire une maladie : d’abord, risquer sa vie n’est pas la perdre. Ensuite, risquer son corps n’est point risquer sa vie, car la vie, bien au-delà du corps, est cette force qui ne meurt pas. La vie est âme, au sens ou Descartes l’entendait dans son Discours de la Méthode: « En sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est. » C’est donc une thérapie de l’« à corps perdu » que vous propose R.B.L., afin que nous puissions retrouver cet accord perdu avec l’aventure, ce goût du risque qui certainement nous maintient en vie plus souvent qu’il ne nous tue. Lance-toi mon frère…