« L’Univers se développe autant sur l’échelle du temps que sur le plan de l’espace. Il a une origine, il aura une fin inéluctable ». Ces propos ne sont pas de Stephen Hawking ou d’Albert Einstein. Ils sont attribuables aux Gaulois. Que sait-on de leur sens du sacré ? Comment appréhendaient-ils la mort et l’au-delà?
Une soif spirituelle inextinguible
Ce que nous savons des Gaulois, nous le tenons des Grecs en ce qui concerne la réalité, et des Romains pour ce qui est de la légende. Une réalité fascinante pour les anciens Grecs, admirateurs d’une brillante civilisation, avec laquelle les échanges furent nombreux pendant des siècles. Une légende souvent à charge pour les colonisateurs romains, soucieux de dénigrer des ennemis longtemps craints avant Alésia. Rome détruisit presque systématiquement ce qui était proprement gaulois, ou s’attribua sans vergogne l’origine de nombre des savoir-faire de la civilisation gauloise. Les Romains ne sont pas seuls coupables. Entre autres disparitions des richesses de leur culture, l’immense naufrage de la cosmogonie et des mythes gaulois est imputable aux Gaulois eux-mêmes. Ils ne faisaient de l’écriture, en Grec essentiellement, qu’un usage restrictif et contrôlé. Or, seuls les druides en avaient la maîtrise et le monopole de sa transmission. Puissante, l’écriture se devait d’être l’attribut d’une élite qui veillait sur un peuple à la soif spirituelle inextinguible. Sans écriture, il n’est de mémoire que celle des vainqueurs. Les druides disparus, restèrent les Romains. César nous le dit: « La nation toute entière des Gaulois s’adonne de façon immodérée aux choses de la religion ».
Un panthéon invisible
Les divinités gauloises n’ont pas figure humaine. Abstraites, ce sont des entités sans corps, sans limite dans ce monde. Elles peuvent être symbolisées, pas représentées. La réalité de leur présence est vue dans les choses, les animaux, les plantes. Une transsubstantiation plus encore qu’une incarnation sacralise les biches, les corneilles. Ce sont des arbustes au centre des sanctuaires qui symbolisent les dieux, inconnaissables. Il ne viendrait pas à l’idée des officiants de vénérer les arbustes, ce ne sont que des expressions d’une réalité divine non représentable. Les Gaulois ne comprennent d’ailleurs pas l’anthropomorphisme du panthéon Romain. Le conquérant Brennos pillant Rome en 387 avant J.C. se moque des statues de Mars et d’Apollon qu’il y trouve. Mais intéressé par ces nouveautés étranges, il n’oublie pas de les ramener en Gaule…
La mort, une opportunité
L’au-delà est une évidence pour les Gaulois ; la mort, la possibilité attendue de retrouver ses ancêtres et de converser avec eux. Contemporain de la conquête romaine, Diodore rapporte que les Gaulois jettent au feu des bûchers les lettres écrites à des parents disparus, comme si ces derniers pouvaient les lire. Nos témoins classiques relatent l’extraordinaire bravoure de guerriers intégralement nus courant à l’ennemi, au premier rang des batailles. Cette fureur extatique ne pouvait s’expliquer que par une conception bien particulière de l’existence.
La mort n’est qu’un passage, une étape entre deux vies. Les existences se succèdent jusqu’à ce que la vertu se soit abondamment signalée, les exploits guerriers aient été suffisamment reconnus. Cette vie est alors la dernière et clôt le cycle des réincarnations. Sa fin offre à l’âme immortelle le paradis céleste où elle retrouve les héros et les dieux.
Réincarnation, métempsycose. La philosophie druidique a toutes les caractéristiques des vues présocratiques. La proximité de la pensée des druides avec celle de Pythagore n’étonne pas. Les contacts extérieurs des théologiens voyageant hors de Gaule sont nombreux et suivis. Non contents d’être philhellènes, les Gaulois sont intensément curieux des autres peuples et civilisations. Notoirement accueillants aux idées nouvelles et aux personnes étrangères, et bien que portant souvent le fer lors de conquêtes lointaines, ils considèrent les autres peuples, Scythes, Latins, Ibères, Germains, Grecs, Parthes, comme des cousins ou des amis potentiels. Jamais comme des ennemis définitifs. Pour les Gaulois, il n’est pas de barbares.
Aucun lien entre l’Asie et les Celtes n’est établi, mais on peut s’étonner d’une pratique identique à celle du bouddhisme dont l’expansion leur était contemporaine : offrant à la divinité leur côté droit, les Gaulois tournaient autour des sanctuaires votifs en passant par la gauche…
Les bardes, garants de l’éternité des âmes
Strabon, en géographe et « anthropologue » de la fin du dernier siècle avant J.C., distingue trois catégories de fonctionnaires du sacré chez les Gaulois: les druides, les bardes et les vates.
Les druides sont les plus connus de nos jours. Plus que des prêtres, ce sont des théologiens et des philosophes du sacré.
Les vates quant à eux interprètent les rêves, manifestations des tourments des morts et de la volonté des ancêtres. Ils lisent l’avenir dans les entrailles des animaux sacrifiés, voire celles de leurs ennemis.
Les bardes, bien loin des caricatures auxquelles on les réduit aujourd’hui, sont les chantres du sacré. Leur pouvoir est immense: ils décident de la postérité des hommes. Ils chantent les louanges des vertueux et vouent à la honte les corrompus. Pour l’éternité. On comprend leur puissance vu l’importance de la réputation d’une vie vertueuse dans le devenir de l’âme. Par leurs panégyriques ou leurs satires, ils sont les créateurs et les dépositaires de la mémoire collective, qu’ils façonnent avec un art consommé de la versification. Comme les aèdes grecs, ils récitent les épopées de génération en génération. Sans écriture, il n’est de mémoire que de poésie.
Une nouvelle vie pour les Gaulois disparus
Après tous les avatars de « nos ancêtres les Gaulois » redécouverts par Michelet, grand élaborateur du roman national, nous en savons paradoxalement moins sur les Gaulois que sur les Egyptiens. Vu la remise en cause actuelle de toute légitimité des histoires collectives et la déconstruction des identités péniblement élaborées, il est difficile de retrouver le fil d’un récit qui ne soit pas rejeté par les post-modernes ou encore préempté par les nationalistes de tous poils. Heureusement, des sources littéraires antiques – il en existe d’honnêtes – ainsi que les données de l’archéologie moderne s’affranchissant des anecdotes et des poncifs permettent de mieux comprendre et de faire revivre dans notre imaginaire cette humanité à la mystique si effervescente.
A lire : Les Gaulois – Jean-Louis Brunaux, Texto, 2020