Au joli mois de mai, je me souviens avoir entendu moult « mort aux cons ». Et peut-être y avoir moi-même prêté la voix. Y réfléchissant après coup, je me suis fait l’observation selon laquelle, si tous les cons mouraient, où trouverait-on de quoi peupler les gendarmeries et commissariats, bureaux de douanes et guichets de toutes sortes, et les menus emplois exerçant une faible autorité pour imposer une abusive manière de voir ?
Car le con, même nommément désigné (« ce con de Machin »), avance en troupeau. Une bande de cons impressionne d’abord par son nombre, conduite par « ce con de Dieu », qui demeure pour beaucoup l’insulte ultime, quand bien même il faille être croyant pour en apprécier pleinement la saveur.
Le coup du miroir
Comme pour la foi, c’est le rapport à l’Autre qui se joue à travers cette qualification en noir et blanc, pratique pour y voir clair par la distinction de deux catégories d’humains, les cons et les bons. Avec dans l’intervalle, car nous sommes subtils, de multiples acceptions du brave con qu’on apprécie à notre service, aux « putains cons ! » pour respirer un discours passionné, jusqu’aux cons finis qui n’en finissent pas de chercher à se mettre en valeur. Ainsi appliquons-nous l’injonction à catégoriser nos semblables avec une infinie bienveillance.
Il est vrai que nos semblables nous ressemblent. C’est ce que je me dis en me rasant et qui permet à certains de se sentir portés par le désir de diriger les autres. Progressez d’une simple lettre dans l’alphabet et de bon, vous devenez con. Un point d’ailleurs que négligent la plupart des Leaders, comme on dit aujourd’hui tant ils demeurent obnubilés par l’idée d’imposer leurs choix et leurs projets. « Miroir, dis moi que je suis la plus belle » !
Retournement
Ce petit mot si souple permet, dans le même souffle de manifester une bienveillante attention au jeune ado qui tente de grandir et que l’on protège en le désignant comme petit con, ou encore à l’ami qu’on appelle affectueusement mon con en lui cajolant l’épaule. Il permet aussi d’apaiser l’obsession qui anime le con (tout tourne autour d’elle) en mettant en œuvre le concept, forgé par Norbert Elias, de « retournement du stigmate ». Dans la période instable et fortement basculante que nous vivons, il est d’ailleurs fréquent que les stigmates se retournent dans la mode, le parler jeune, l’appétence pour les métiers manuels, le tatouage, le respect des parents, voire les rêves de nos jeunes congénères qui choisissent de devenir boulangers à la sortie d’HEC.
Finalement, nous développons la propension à qualifier ainsi ceux dont nous ne comprenons pas le comportement, façon « P’tite conne», la chanson de Renaud dédiée à Pascale, la fille de Bulle Ogier, morte d’une overdose. Ou, à la manière d’une « valise sans poignée », pour reprendre la formule de Jacques Chirac.
Tiédeur
Pourtant, à l’origine du mot, tout comme à « l’origine du monde », siège cette tiédeur du plus secret féminin tenu serré entre les cuisses et qu’il convient de taire. Un but, une conquête et la vie à offrir. Un scandale à taire, aussi, pour ne rien brusquer du secret de la vie.
Aussi,
« Honte à celui-là qui, par dépit, par gageure,
Dota du même terme en son fiel venimeux
Ce grand ami de l’homme et la cinglante injure
Celui-là, c’est probable, en était un fameux. » (Georges Brassens, in Le Blason)
Considérons donc que le con n’est pas mort, quelle que soit sa forme, car il bande encore.