Rares sont ceux qui se sont intéressés à ces femmes de l’ombre sur lesquelles la lumière était projetée… le temps d’une pose, et parfois pour l’éternité à travers la contemplation d’un tableau. Les modèles ont été les inspiratrices des plus grands peintres mais on ne sait d’elles que peu de chose et parfois rien. Qui sont ces modèles? Que deviennent-elles «après avoir pris la lumière sous le pinceau des Maîtres ?»
Comme on peut le lire sur la 4e de couverture de ce très beau livre d’art: « À travers une douzaine de portraits qui sont autant d’histoires singulières, Olivier Renault éclaire l’âpreté, l’humilité et la grandeur du métier de modèle». Courbet, Corot, Manet, Renoir, Degas, Whistler, Matisse, Picasso… Tous ont passé des heures, voire des moments de vie, avec ces femmes qui ont marqué l’histoire de l’art et ont joué un rôle clé dans l’élaboration de leur oeuvre.
Ces femmes ont souvent débuté alors qu’elles étaient des enfants, jeunes filles pour la plupart, issues de couches populaires ou immigrées. Des beautés singulières qui se nomment Victorine Meurent, la « scandaleuse » du «déjeuner sur l’herbe» (1863) ou l’« Olympia » de Manet (1863), son modèle préféré pendant dix ans, Joanna Hiffernan la somptueuse rousse des tableaux de Courbet, la belle irlandaise de ceux de Whistler, Emma Dobigny, «cette femme en bleu dont Corot nous offre le dos, le profil, le mystère», Fernande Olivier, «nageant dans le rose du bonheur de sa rencontre avec Picasso», Gabrielle Renard qui devint la signature de Renoir, Suzanne Valadon, Kiki de Montparnasse ou Dina Vierny et d’autres. Ces femmes qui nous sont familières, nous les avons toutes connues sans le savoir pour les avoir vues dans les chefs d’œuvre de ces peintres célèbres. Ainsi que les présente l’auteur, elles ne sont «ni muses ni soumises», mais des modèles vivants qui ont été des femmes discrètes, des pauvres filles pudiques, vivant chichement d’un métier très dur, et qui n’avaient rien des égéries mondaines ou des prostituées auxquelles elles étaient assimilées dans l’imaginaire du XIXe siècle.
Se déshabiller et poser nue n’est certes pas une activité anodine et porte la question du statut de la Nudité. L’on apprend ainsi, que «entre 1860 et 1950 le nu ne s’étale pas comme maintenant dans nos vies quotidiennes, à fleur de panneaux publicitaires ou d’écrans. La pornographie circule sous le manteau. Elle existe, bien sûr, mais cachée. Se déshabiller ailleurs que chez soi ou chez le médecin fait figure de scandale. La représentation du nu réclame l’alibi de l’Antique qui permet au spectateur de se rincer l’œil en toute bonne conscience. L’Antique aseptise et désérotise le sujet. […] Pourtant au XVIIIe siècle, Diderot était déjà intervenu: «Une femme nue n’est point indécente. C’est une femme troussée qui l’est… ». «Une fois que je me déshabille, ça n’est pas la nudité que je montre, c’est un corps, une force… » précisera la Québécoise Pascale Bernardin, modèle contemporain.
Ainsi, partir à la rencontre de ces modèles d’exception nous fait découvrir la vie de ces femmes «qui ont pour la plupart choisi d’inventer leur liberté, s’affranchissant des codes de leur époque ou les subvertissant ». Notre siècle leur a mieux rendu hommage par des livres ou des expositions qui leur ont été consacrés.
La lecture de cet ouvrage riche et passionnant nous apprend beaucoup sur la période étudiée qui va de « la naissance de l’art moderne (1863), – donc Manet et Courbet –, à la mort de Matisse ». L’on découvre, au fil du texte et des reproductions que ces femmes-modèles, « rémunérées pour leurs poses, ces femmes inspirantes ont su nouer un dialogue fécond avec les artistes, dans le secret des ateliers ».
Précipitons nous !