Il y a pire que la prison. Imaginez un bâtiment, ou vous, ou plutôt votre enfant, serait enfermé, sans limitation de durée, sans son consentement, sans même qu’il ait commis le moindre délit. Imaginez que cet enfant que vous chérissez tant, soit enfermé dans une chambre vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et que dans cette chambre, il n’y ait rien sinon un lit. Imaginez que dans cette chambre, il n’ait pas le droit d’y avoir un livre, un magazine, ni la possibilité d’y écouter la moindre musique ou de voir un film. Rien. Sinon un lit. Pour passer toutes ses journées. Mais encore… Imaginez que ce lit, votre enfant doive-t-y être attaché par des sangles de cuir, aux bras et aux jambes, pendant plus de vingt-trois heures d’affilés par jour, sans possibilité de faire le moindre geste, seul et contraint à l’immobilité par la force des liens. Imaginez que pendant ce temps, il soit obligé de faire ses besoins sur lui… Imaginez que pour lui rendre cette torture plus « supportable », votre enfant soit drogué, à coup de substances psychotropes extrêmement puissantes, capables de réduire sa raison à néant, et d’en faire un légume, mais un légume qui souffre. Qui souffre physiquement, mais aussi de se voir voler son humanité, sa dignité. Imaginez que parce qu’il est encore humain, votre enfant se rebelle un peu, et que parce qu’il se rebelle un peu, on l’électrocute. Mais pas en lui mettant les doigts dans la prise, non, en lui faisant traverser le cerveau par un courant haut voltage, histoire d’être bien sûr qu’il devienne un légume docile. Imaginez que ce traitement dure pendant des années, et que vous ne puissiez rien y faire. C’est votre enfant…
Ce n’est pas seulement votre imagination qui crée cela. C’est aussi la réalité de milliers de gens. Ça s’appelle l’hôpital psychiatrique. Et c’est aujourd’hui.
Un film d’horreur
Ça ressemble à un film d’horreur, et on se dit que l’auteur invente, qu’il exagère, qu’il dramatise, voire qu’il milite en toute mauvaise foi. Alors l’auteur appelle à sa rescousse le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL), et son rapport de 2016 sur les hôpitaux psychiatriques. Ce rapport tout ce qu’il y a de plus officiel est écrit sur un ton relativement neutre, et il raconte l’horreur, pourtant sans sembler prendre la mesure de ce qu’il décrit. Le thème : la contention (le fait d’attacher les malades, des êtres humains pour ceux qui l’auraient oublié, à leurs lits) et l’isolement. Premier constat : « le CGLPL observe que parmi les établissements psychiatriques qu’il est amené à visiter, ceux qui ne recourent jamais à l’une ou l’autre de ces mesures font exception. » (…) « La grande majorité des unités de soins visitées par le CGLPL disposent d’une, voire de deux chambres d’isolement et de matériel de contention. Certaines unités spécifiques, comme les unités pour malades agités et perturbateurs (UMAP) ou les unités de soins intensifs en psychiatrie (USIP) sont constituées majoritairement voire exclusivement de telles chambres. »
Pour ce qui est des effets de la contention, outre l’atteinte à la dignité humaine, on trouve des choses plus bassement terre à terre : « Concernant les risques et les effets secondaires régulièrement dénoncés de ces pratiques, on retrouve notamment : décès par mort subite, asphyxie, décès par fausse route, thrombose, complications cardiaques. » En ce qui concerne sa mise en pratique, je laisse notre CGLPL parler encore : « la personne peut être ainsi attachée pendant plusieurs jours, parfois plusieurs mois, avec le plus souvent des modalités de mise en œuvre interdisant tout mouvement jusque vingt-trois heures par jour, sans présence soignante à côté et sans aucun système d’appel. L’inconfort est ainsi total pour la personne qui ne peut pas même satisfaire ses besoins élémentaires. » (…) « Le fait que certains patients soient maintenus attachés sur leur lit sans système d’appel peut les mettre dans une situation où ils n’ont parfois pas d’autre possibilité que de faire leurs besoins naturels sur eux. »
Rencontre du CGLPL avec un patient en 2016 : « enfermé depuis plusieurs mois dans sa chambre dont il sort de 18 h 30 à 19 h 30 pour le dîner qui est pris en salle à manger ; une contention au lit lui est imposée de 9 h à 10 h, de 13 h à 15 h, de 20 h à 7 h soit quatorze heures sur vingt-quatre. (…) Un soignant faisant état devant le patient de sa grande angoisse, ce dernier précise « Non j’suis pas angoissé » ; « le docteur est venu dans ma chambre il y a bien un an ».
Situation d’une femme d’une cinquantaine d’années, en chambre d’isolement depuis six mois : « La prescription d’isolement est renouvelée tous les sept jours comme la prescription associée de contention au lit de 9 h à 11 h, de 13 h à 15 h et de 20 h à 7 h soit quinze heures sur vingt-quatre. La chambre ne dispose d’aucune sonnette d’appel. L’isolement est strict, rien n’est introduit dans la chambre qui ne dispose ni de téléviseur ni de radio, ni livres ni occupation. »
Battue et attachée nue comme un ver
La dignité ? Rencontre avec une autre patiente : « C’était long, trop long, l’enfer ! On m’a mise là car je m’étais alcoolisée lors d’une sortie à l’extérieur. Je n’étais pas méchante, juste un peu gaie. On m’a fait souffler dans l’alcootest. L’alerte lancée, dix personnes m’ont poursuivie… j’ai pris des coups, poussé des cris et demandé à porter plainte… Arrivée à la chambre d’isolement, j’ai été déshabillée… Toute nue comme un ver. Aujourd’hui, j’en rêve encore… plutôt, j’en fais des cauchemars. (…) On m’a attachée, pieds et mains liées ! Mise à nue devant tout le monde. »
Plus récemment, dans des Recommandations en urgence du 1er février 2018 relatives au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté raconte : « …vingt patients relevant de la psychiatrie en attente de places. Treize de ces vingt patients attendaient allongés sur des brancards dans les couloirs même des urgences. Sept patients faisaient l’objet de contentions au niveau des pieds et d’une ou des deux mains. Deux de ces patients attachés étaient en soins libres, les autres étant en soins sans consentement à la demande du représentant de l’Etat ou à la demande d’un tiers. Ces sept personnes se trouvaient aux urgences depuis des durées allant de quinze heures à sept jours, cinq étant présents depuis plus de trois jours. Ils n’avaient pu ni se laver, ni se changer, ni avoir accès à leur téléphone portable. Trois d’entre eux devaient user d’un urinal posé le long de leur jambe sur le brancard au-dessus du drap. Or aucun de ces patients ne présentait d’état d’agitation, certains demandant juste à pouvoir être détachés, sans véhémence, dans une forme de résignation et d’acceptation. »
Ce ne sont que quelques extraits, Seigneur !
Ils ne couvrent qu’une infime partie des atrocités commises en psychiatrie. On n’y parle pas par exemple de la centaine de milliers d’électrochocs qui sont donnés par an en France. Et pourtant, rien qu’avec ces quelques lignes, qui sont publiques, accessibles à chacun, transmises au gouvernement, on sait que l’horreur existe, chez nous, peut-être tout prêt de chez vous, et que rien ni personne ne l’arrête. Pourquoi ? Est-ce parce que cela dépasse ce qu’il est humainement possible de concevoir. Peut-être. Mais faites un effort. Ce que je vous dis là n’est pas une invention. C’est une réalité quotidienne, certes cachée derrière d’épais murs, mais aucun mur ne résiste à la volonté de justice.
Torture et Barbarie
Il s’agit là d’actes de barbarie et de torture, d’atteintes cruelles à la dignité humaine, perpétués chaque jour dans notre pays, impunément. Pour combien de temps encore ?
Il n’y a pour moi aucun doute, face à une telle situation, qu’il faut fermer ces établissements et traduire en justice tous ceux qui se sont rendus coupables de tels agissements. Parce que n’oubliez pas qu’à l’instant où vous me lisez, maintenant, ces « médecins » psychiatres et ces « infirmiers » psychiatriques sont en train de torturer, à grande échelle, des dizaines de milliers de vos frères et sœurs, des dizaines de milliers de nos enfants. Si vous n’aviez fait à votre prochain que la moitié des choses que ces quelques lignes racontent, vous seriez certainement en prison pour dix ou vingt ans. Mais pas eux. Pas encore.
Je sais, même encore maintenant, vous vous dites que l’auteur invente, qu’il exagère, qu’il dramatise, voire qu’il milite en toute mauvaise foi.
Lisez le rapport[1], et renseignez-vous. J’aimerais que ça ne soit qu’un mauvais rêve.
[1] En ligne ici : http://www.cglpl.fr/2016/isolement-et-contention-dans-les-etablissements-de-sante-mentale-2/