D’abord on a eu peur du virus. Cohortes de médecins criant à l’ennemi invisible et inconnu, journalistes comptant inlassablement le nombre de morts qui s’empilaient comme s’ils tombaient dans les rues à chaque instant, gouvernements dépassés qui le montraient bien. Alors sont venus les « rebelles ». Et on s’est mis à avoir peur des médecins et des gouvernements, tous à la botte de l’industrie pharmaceutique, et on a eu peur de Bill Gates et des puces qu’il veut glisser dans les vaccins. Alors sont arrivés les anti-complotistes, et on s’est mis à avoir peur des complotistes, et puis de ceux qui n’étaient pas complotistes, mais dont les idées auraient pu y ressembler. On a même peur des crudivores, la dangereuse secte de ceux qui mangent cru…
C’est un peu comme si, sans proportion garder, nous pensions que la peur est le seul aiguillon efficace pour faire réagir les moutons que nous sommes. Pour que les abrutis réalisent enfin qu’il faut se protéger, se confiner quand on leur dit, il faut qu’ils aient la trouille, qu’ils s’imaginent étouffant sous un virus que rien n’arrête ! Pour que les moutons dociles se rebellent enfin contre l’élite gouvernante aux milles complots, il faut bien leur foutre les jetons en leur offrant la vision de leur avenir pucé, et de leur présent sous contrôle. Pour empêcher ces complotistes de foutre en l’air le plan vaccinal, il faut effrayer le chaland, avec les bons mots : « secte », « complotiste », « trumpiste », « survivaliste », « Qanoniste »…
Cette guerre de la peur est à vomir.
La vraie science ?
Un sociologue en vogue, Gérald Bronner, écrit que nous sommes face à une « apocalypse cognitive ». Il pense avoir bien compris comment les gens se feraient « manipuler », petit à petit, comme la grenouille dans la bouilloire, pour devenir finalement « irrationnels ». Il oublie malheureusement de s’appliquer le principe à lui-même. Le recul est un art difficile, et notre bon sociologue lui préfère des solutions radicales : la régulation de la liberté d’expression pour éviter l’apocalypse. C’est pourtant simple, il faudrait privilégier (jusqu’à quel point) les contenus fondés sur des « vérités scientifiques ». Nous voilà bien… Mais comment puis-je faire pour déterminer qui détient la vraie science ? Est-ce le Docteur Raoult qui représente la science, ou le ministre-docteur Véran quand il s’agit de l’hydroxychloroquine ? Dois-je me fier au curriculum Vitae des protagonistes ? Ou demander son avis à l’OMS ?
Du côté du gouvernement, on semble penser qu’il faut une parole « officielle » portée haut et fort, et que le devoir du bon citoyen, c’est de l’entendre et de la suivre. Avec tout le respect que je dois à chacun, cette attitude ne fait que renforcer l’irrationalité de l’opposant. Qui n’a jamais ressenti le salvateur esprit de contradiction face à celui qui voudrait nous dicter notre conduite là où l’on ne lui en a pas octroyé la légitimité ? Dans l’urgence, on peut comprendre le besoin d’ordres à suivre sans poser de question. Quand le bateau coule, le marin qui refuse les ordres va bien souvent être la cause de la catastrophe.
Mais le marin a choisi un système hiérarchique auquel il se soumet volontairement (en tous cas on peut l’espérer). Mais qui a donné à son gouvernement le droit de nous dicter notre conduite quand il s’agit de savoir comment je me soigne, ce que je pense, et ce que je mange ?
La lutte des camps remplace la lutte des classes
Le complotiste existe, et loin de moi l’idée de le nier. Sauf que le qualificatif est employé à tort et à travers. Il fait partie de ces étiquettes qu’on colle à tout va pour décrédibiliser l’adversaire : « Islamogauchiste », « sectaire » ; avant nous avions « réac »… Le complotiste, n’en déplaise aux « anti », a parfois raison, ou tout du moins ses arguments ne sont pas tous idiots. Et surtout, tout opposant n’est pas complotiste. Ce n’est pas parce qu’on critique les vaccins qu’on rejoint la vaste confrérie des conspirationnistes. Ce n’est pas parce qu’on critique l’industrie pharmaceutique et ses pratiques parfois sordides que l’on fait partie des adeptes de Q.
Bien sûr, du côté de ceux qu’on appelle les complotistes (vrais ou supposés), on a tendance à manier l’amalgame et le mélange sans aucune parcimonie. Finalement, ce n’est plus une lutte des classes, c’est une lutte des camps, gros camps ou micro-camps : complotistes contre anti-complotistes, pro-masques contre anti-masques, anti-vaccins contre pro-vaccins, islamogauchistes contre islamophobes, gilets jaunes contre pro-Macron le suppôt des banques.
La voie du milieu
Il se sent bien seul, celui qui n’est ni pro, ni anti, quand il lit les journaux, quand il parcourt les réseaux sociaux, quand il allume la télé. Mais ne serait-il pas l’avatar d’une majorité silencieuse ? Et n’est-elle pas là, la voie du milieu dont nous parlaient le vieux chinois (Lao-Tseu, bien avant le Parti Communiste) et le vieil Indien (Gautama-Siddartha). La voie de celui qui observe, analyse, choisit, change d’avis quand il veut changer d’avis, tolère, continue d’aimer celui qui est en désaccord avec lui, respecte la liberté de l’autre, respecte le droit de l’autre à être, à vivre, à croire, à penser, à choisir. La voie de celui qui n’a pas peur, et qui ne cherche pas à faire peur.
Il y a deux raisons pour lesquelles je choisis, allègrement, la voie du milieu. La première, par philosophie, par joie d’observer, par bonheur de découvrir, de savoir ce que je sais et ce que je ne sais pas. La seconde : parce que les « pro » et les « anti » m’emmerdent. Profondément. Je les laisse à leurs peurs.