Michel Maffesoli, professeur émérite à l’université René Descartes, est un sociologue de grand renom dont les thèses font référence en matière d’analyse de la postmodernité. Ses très nombreux ouvrages – traduits dans une dizaine de langues – pointent les changements contemporains de paradigme et étudient l’évolution des notions d’individualisme, d’imaginaire, les « résurgences tribales et communautaires », le rapport du quotidien et des valeurs dans des sociétés qu’il considère comme plurielles. Le professeur a des convictions et un style, il ne mâche pas ses mots et cela nous convient – qu’on soit d’accord ou pas avec ses thèses. Rebel Without a Cause – pour reprendre l’expression utilisée dans les années cinquante pour caractériser les tribulations existentielles d’une jeunesse en crise et qui continue de faire florès sous la forme d’une adulescence biberonnant aux modèles régressifs de la société de consommation – cela ne nous intéresse pas. Si l’on est rebelle aujourd’hui, c’est que l’on ne manque pas de bonnes raisons de l’être… L’Amérique et à sa suite le reste du monde est entrée il y a longtemps déjà dans une ère où les doxas sont multiples et les injonctions qui vous enferment dépendent de la tribu à laquelle vous appartenez. Bonne ou mauvaise nouvelle, là n’est pas la question. “The Times They Are a-Changin’…” et il nous intéresse de comprendre comment.
Lui-même poil-à-gratter assumé du Landerneau universitaire, Michel Maffesoli a volontiers accepté l’interview que lui proposait Rebelle(s). Il s’y trouve en pays de connaissance. Nous le laisserons se castagner avec ses collègues universitaires de tous poils qui ne lui veulent pas que du bien et lui reprochent de manquer de rigueur scientifique, à lui qui prône mordicus la subjectivité assumée d’une sociologie envisagée en tant que « connaissance » plutôt que comme science. Départager les experts n’est pas notre propos. Le foisonnement considérable de thèmes que Michel Maffesoli aborde dans ses travaux lui fait créer des liens insoupçonnés et éclairants. A Rebelle(s), le flou créatif, c’est notre truc, la relativité des points de vue – et non pas le relativisme généralisé – notre credo. En tant que gonzoïdes assumés, poètes du grabuge, un regard original sur le monde et nos contemporains est pour nous pain béni pour les neurones. Michel Maffesoli vient de faire paraître un livre passionnant – L’ère des soulèvements – aux éditions du Cerf. C’est le bon moment pour lui poser la question centrale de la première livraison du Webzine Rebelle(s) lancé en cette fin d’année 2021 : « Comment peut-on se rebeller aujourd’hui ? »
Rebelle(s) – Dans votre dernier livre aux accents prophétiques et au style imprécateur, vous analysez le mouvement des Gilets Jaunes. Comment, d’après vous, peut-on se rebeller aujourd’hui ?
Michel Maffesoli – Tout d’abord, permettez-moi de préciser que pour moi, le phénomène des Gilets Jaunes n’est pas le modèle qui va se répéter. Le moment que nous vivons se caractérise par une grande différence entre la société officielle et la société officieuse. L’officielle est celle qui a le pouvoir de dire et de faire, politique, économique, journalistique, gauche et droite confondues. Mais elle reste dans le schéma de la « forme » – cad qui est formante – du parti. Cette société reste sur les grandes valeurs modernes : individualisme, rationalisme et progressisme. A chaque fin d’époque, l’élite reste sur les valeurs anciennes, et une société officieuse va se révolter. Cette révolte va prendre des formes très diverses. Les Gilets Jaunes en était une des manifestations. Ceci va se multiplier.
Rebelle(s) – Peut-on dire que le mouvement des Gilets Jaunes, c’est une forme de jacquerie ?
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