Ne pas s’agenouiller pour rien
Quand elle est partisane, à genoux devant le ministère de la Culture fraîchement installé, la poésie montée en exergue devient mauvaise et fabricotée, ennuyeuse, une poésie de la flatterie des décideurs de subventions, une poésie couchée pour tout résumer. Depuis quarante ans de passion et de passeur, nous avons l’habitude… Si la gauche « caviar » parvient à l’Élysée, la poésie n’a alors pour porte-drapeaux que l’armée des obscurs plagiaires de Paul Eluard, de Louis Aragon, d’André Breton, d’Eugène Guillevic, de Francis Ponge ou de René Char. Si c’est la droite « Catho ou gigot » qui gagne les élections, les éditeurs spécialisés en reviennent tous en chœur à Charles Péguy, Paul Claudel, Jean-Claude Renard ou Patrice de La Tour du Pin. Même Jean Grosjean paraît trop révolutionnaire. Au bout des mots, la poésie de ce siècle, celle que j’aime, est toujours plurielle et libre des modes du temps qui réduisent l’inspiration et éludent la saisie de l’essentiel et du sens. Quoi qu’il en soit, c’est le temps, toujours, qui détient le dernier mot et les clefs de cette hypothétique notoriété si souvent secrètement espérée.
À chaque fois que l’État Républicain change de couleurs dominantes, les poètes ont un goût amer dans la bouche et déplorent le manque d’enthousiasme de ses dirigeants pour aider à diffuser les nouveaux enfants d’Arthur Rimbaud par exemple. Ce constat est logique puisque le poète authentique, homme ou femme, obscur ou reconnu par ses pairs, n’en finit pas de scruter sa propre intériorité et de s’interroger sur la finitude des régimes et des personnes, ce que ne fait pratiquement jamais le député dérisoire d’un Parlement bavard ! Certes, il semble impossible de deviner quels seront les noms des grands poètes de ce vingt-et-unième siècle, mais une évidence tout de même s’impose : aucun maître prétentieux, aucun gourou de pacotille, aucun petit commerçant du compte d’auteur flatté (c’est l’auteur qui mérite toujours l’adjectif) n’y pourront rien changer : la poésie restera rebelle par définition vis-à-vis des pouvoirs établis et des dictatures d’argent. Quelles que soient les formes qui sont les siennes et son génie propre, tout poète debout chantera jusqu’au bout que rien n’est tout à fait perdu même lorsque tout semble sombrer dans une nuit sans fin, dans un vertige de sang et d’orgueil.
Jean-Luc Maxence