Bonjour Mannick, je suis heureux de faire votre connaissance. Danny-Marc m’a beaucoup parlé de vous et j’ai écouté vos chansons. Si je comprends bien vous avez commencé votre carrière avec le groupe « Les Collégiennes » ? Racontez-nous.
Oui tout à fait, on a commencé par chanter ensemble pour le plaisir, tous les jeudis, à la maison. Puis nous avons été sollicitées pour faire des spectacles cela a duré à peu près six ans et puis les Collégiennes ont grandi et se sont mariées. Le groupe s’est dissout. C’était la fin d’une super aventure.
Que chantiez-vous ?
Au départ, on faisait des reprises de Petula Clark, Marie Laforêt, de Jean Ferrat… et deux d’entre nous se sont mises à écrire des chansons.
J’ai vu que vous aviez été jusqu’au Canada avec Les Collégiennes ?
Oui, au Québec exactement. On a fait trois allers-retours sur le paquebot France à cette occasion vers la fin des années soixante… Mais il y a eu d’autres tournées, en Italie, en Turquie, en Suisse etc…
Qu’est ce qui a lancé votre groupe ?
Ce qui l’a lancé ? Un radio crochet à Angers sur une place de la Ville. Nous étions toutes Angevines. Le groupe a commencé en 1961. Au début on a pataugé. Il y a des filles qui sont rentrées, d’autres qui sont sorties. Et on est resté à quatre pour finir.
Combien de temps cela a-t-il duré au total ?
Huit ans. Ensuite j’ai arrêté pendant un an et demi et comme j’avais le Virus, je me suis beaucoup ennuyée… alors j’ai repris du service, d’abord avec le groupe Crëche puis (et en même temps) parfois avec Jo Akepsimas, ou…seule avec un musicien puis 2 puis 4…
Le virus de la musique ?
Plutôt le virus de la chanson ! Même si je compose, en effet, je n’ai pas un parcours très académique. J’invente la musique mais je ne sais pas l’écrire. Je suis auteur avant tout. Quand on n’a pas un parcours solide musicalement, on développe soi-même des chemins de traverse, une école de musique buissonnière en quelque sorte. Il y a des gens qui ont naturellement et davantage le sens de l’harmonie que d’autres. Moi j’ai une bonne oreille, c’est ce qui m’a aidée.
Et le sens de la scène ?
C’est venu en cours de route. L’envie était là, on était un peu gauche au début et on a commencé à dire quelques mots, à se tenir mieux, à bouger, à présenter les chansons. On ne devient pas professionnel tout de suite, on apprend parfois sur le tas, devant le public… Je suis autodidacte complètement avec les avantages et les inconvénients ou les limites. Ça prend sans doute plus de temps mais à l’époque il n’y avait pas d’école pour cela. En solo ça a été un gros succès, tout de suite, avec Paroles de femme disque d’or en 1977. Au même moment, certains de mes amis qui étaient plus investis dans le chant rythmé, d’inspiration Catho, me demandaient de chanter dans leurs disques : Gaëtan de Courrèges, Jo Akepsimas… Pour moi, c’était l’occasion de chanter encore et encore. J’étais partie prenante, certes, mais ma carrière cela reste avant tout ma route dans la chanson française. Ensuite il y a eu les chansons pour enfants, j’ai commencé à écrire quand les miens étaient petits. Tout ça s’est fait en même temps. En somme, j’avais plein de casquettes.
Vous avez beaucoup tourné avec le groupe Crèche ?
Oui mais pas énormément en dehors de la France, un peu en Belgique !
Vous avez fait l’Olympia quand même !
Deux fois avec le Crèche. Et je l’ai fait aussi toute seule en 1983.
Pour en revenir au groupe Crèche, en dehors des chansons plus personnelles, il y avait une dimension humoristique…
Oui un type de chanson humaniste, plus ou moins engagée en première partie où on s’accompagnait les uns les autres, et puis on faisait un peu les fous en seconde partie, ce qui a été notre image de marque. Une première partie relativement sérieuse, chacun chantant quatre, cinq chansons en s’accompagnant et, en deuxième partie : du folklore, des chansons drôles. On se déguisait, c’était du grand n’importe quoi mais qu’est ce qu’on s’amusait et le public aussi ! C’était formidable ! On ne peut faire cela qu’en groupe !
Revenons à votre carrière solo…Votre parcours est atypique vous semblez avoir cultivé une certaine distance à l’égard du show-business.
Pour ça on m’a bien aidée ! J’ai toujours été classée, soit féministe, soit plus tard comme catho. J’avais fait quelques récitals avec Jo Akepsimas, mais l’événement auquel j’ai participé un peu malgré moi (et que j’ai beaucoup regretté) c’est lors de la venue du Pape Jean-Paul II au Bourget. Jo Akepsimas avait été désigné comme animateur pour la messe en plein air et, comme j’étais « soliste souvent dans ses disques, il m’a demandé d’y être. Je n’aurais pas dû. Cela m’a joué des tours, c’était très médiatisé. Du coup, j’ai été cataloguée dans le domaine religieux. Je n’avais pas osé dire non à l’époque mais ce n’était pas mon choix, pas ma conviction de participer à ce type de « grand-messe ». Au-delà de tout ce que je vous dis, ce qui a le plus dérangé chez moi, dès le départ, c’est une parole féministe engagée (Paroles de femme, La chance d’être une femme, Je suis Ève : titres de mes 3 premiers albums) mais dans chacun d’eux, il y avait des chansons d’amour, des chansons sur la maternité, des sujets divers. On m’a enfermée et réduite à cet engagement que j’assume mais qui n’est pas restrictif. Pour faire bonne mesure il faut dire que c’est aussi ce qui a fait mon succès dès le début auprès du public : le plus important pour moi ! Les Cathos n’aimaient pas trop, et dans le show-biz, ça ne passait pas car c’était des chansons à thèmes. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la gale. Et c’est sans doute pour cela que l’on m’a écartée des médias. Ce sont des arguments qui m’ont été donnés. Sur France Inter, (il y a longtemps) j’avais participé à un concours avec une chanson qui s’appelait L’enfant soleil. Durant plusieurs semaines la chanson a été la première… Elle parle d’un enfant différent, trisomique. Au final, j’ai gagné le concours. À la clef, il devait y avoir une programmation mais elle n’a jamais eu lieu. Je pense que les radios en général rejettent ce type de langage dans une chanson. C’est « à thème »…comme je l’ai entendu dire. Pour moi dans la tradition de la chanson française, c’est une chose à laquelle je tiens : dire ce que l’on pense ou ce que l’on a sur le cœur en musique !
Vous considérez-vous comme une rebelle ?
Oui ça me convient très bien ! Ceci étant, on me dit souvent : « pourquoi tu ne veux pas passer à la télé ou à la radio ? ». Je n’y suis pour rien moi ! (ndlr rire). Les compromissions ? J’en ai refusé pas mal mais je n’ai pas été pour autant en guerre avec les médias. J’ai fait quelques émissions de l’après-midi assez sympathiques (télé). Les personnes qui me choisissaient avaient des coups de cœur pour mes chansons. Jacques Martin, entre autres, m’a programmée à plusieurs reprises. Une fois, j’ai chanté La chance d’être femme, et j’ai failli ne pas passer car au dernier moment : la responsable du plateau s’est offusquée en disant : « qu’est ce que c’est que cette chanson ? Qu’est ce que c’est que cette femme ? ». Le côté féministe de la chanson la dérangeait. Heureusement, dans l’émission, il y avait Mouloudji … et il a dit : « si vous ne la passez pas je ne chante pas ». C’est d’ailleurs lui qui a produit mes trois premiers albums avec la maison de disques AZ.
Quel a été le rôle de votre maison de disques ?
AZ, c’était Europe 1. Et pour autant je n’ai pas été programmée sur cette radio ! Je n’étais pas dans le ton. Fort heureusement, ça ne m’a pas empêchée de remplir des salles et de vendre des disques.
Par ailleurs, vous avez fait des disques pour les enfants. Comment cela est-il venu ?
J’avais des enfants en bas âge et un ami m’a dit « pourquoi tu n’écrirais pas des chansons pour enfants ? ». Un défi que j’ai relevé ! J’ai commencé en m’amusant. C’était assez spontané. J’écrivais les textes, quelques musiques (Pétrouchka par exemple) mais c’est Jo Akepsimas par la suite qui a mis en musique « nos » chansons pour enfants. Il en a enregistré beaucoup lui aussi. On se partageait le boulot de cette manière. On a écrit des centaines de chansons ensemble. Petite Chaussette, Le Chien roux, La Mousse au chocolat, Baboun et j’en passe ! Il a aussi mis en musique pas mal de mes chansons pour adultes et surtout les a orchestrées le plus souvent.
Pour finir, Mannick… un mot sur votre actualité ?
Je viens d’enregistrer En Duo avec Marie-Louise Valentin et avons commencé à faire des spectacles ensemble. Une nouvelle page à écrire en plus de nos carrières respectives. Nous sommes à Limoges et à Saint-Étienne prochainement.
Merci Mannick et bonne route à vous, en chansons bien sûr !
Interview exclusif de Jonathan Lévy-Bencheton – Mars 2017