Dans un été caniculaire favorisant le ramollissement du cerveau comme les découvertes réjouissantes, le hasard des rencontres m’a emmené jusqu’à la ville où se déroule chaque année un festival de poésie foutraque et sautillante, le bien nommé « Tournez la plage » de La Ciotat. L’horizon qui n’est pas préempté par la mer s’y égaille de la résille métallique des grues et des puissants portiques du chantier naval. Sur le port de plaisance, la façade ancienne de la ville est large et préservée. Les rues montant légèrement vers des places tranquilles aménagent des espaces propices à la poésie déclamée et aux expositions d’artistes.
Du haut d’un balcon surplombant une galerie de peinture qui semble improvisée, un poète lit un texte d’une voix qui porte au-delà du carrefour des rues calmes à cette heure. Les auditeurs vont et viennent entre le bord du trottoir et l’intérieur de la galerie. Plus tard dans l’après-midi, sous un kiosque à l’architecture faisant écho aux grues, nous rencontrerons d’autres expressions, elles chorégraphiées, un jeu de confrérie poétique dans le soubresaut de la parole et la mise en scène des corps.
Pour l’heure, 4 août 2022, le poète et peintre Matteo Vergnes, 24 ans, redescend du balcon et rejoint la famille, les amis, les curieux. Il explique l’importance, dans son processus de création picturale, du rapport bien particulier qu’il entretient avec le Temps.
Alexandro Jodorowski cinéaste, voulant que Salvador Dali joue dans un de ses films, avait obtenu de pouvoir le rencontrer. A ses yeux, Dali était le seul suffisamment mégalomane et retors pour le rôle d’empereur de la Galaxie qu’il voulait lui faire jouer. Dali, qui ne savait pas encore de quoi il retournait, lui demanda à brûle-pourpoint : « Quand je me promène au bord de la mer, je n’arrête pas de perdre des montres dans le sable. Et vous Monsieur Jodorowski, que faites-vous sur la plage ? » Et Jodorowski de lui répondre : « Moi, je n’arrête pas de trouver des montres quand je m’y promène. » L’affaire fut conclue dans l’instant.
Le 20 octobre 2018, Matteo Vergnes entrait aux Beaux-Arts de Marseille. Il y enterrait sa montre dans un coin et brisait son réveil matin afin – dixit – de : « retrouver l’élan personnel… l’inadéquation au réel, son propre temps capable d’adoucir le présent ». Dans tous les cas, volontaire ou non, fantasmatique ou objectif, l’acte n’est pas seulement libératoire, il est également ressort d’intention.
Matteo appartient à la génération de ceux qui auront vécu le confinement pandémique dans le temps de leurs études. Ce temps généralement consacré à la relation aux autres, à l’établissement des interactions sociales ensemble fondatrices – les amis, les empreintes esthétiques – et encore sans enjeux majeurs – la notoriété, la carrière. Là, mauvaise pioche, tout le monde est enfermé.
Dans ce contexte tout à la fois édificateur et déjà inscrit dans les actions antérieures du poète, repenser les repères (repaires ?) chronologiques est une réponse sensée, la riposte de celui qui se sert d’une privation de liberté de mouvement pour gagner en pertinence. Comme les maîtres de la stratégie, il échange de l’espace contre du temps. Il ne se déplace plus, contractant les lieux en un seul point, étendant le Temps au-delà des heures qui passent dans une stase par lui créée. Articulant sa recherche – « Perdu dans l’épaisseur de mon temps hors du temps » – il y démontre « la liberté des mots, des traits, des couleurs et des formes à être autres ».
Le résultat de son travail de plasticien en est de ces tableaux colorés aux détours épais de vitraux et aux hachures courtes, dessinant des figures aux pliures complexes. Une présence d’eau forte dans la mer ou la forêt ; un vocabulaire de couleurs primaires tout de Méditerranée ou de Brésil. Au milieu d’un des paysages, un monolithe de basalte sortant des flots.
Çà et là, les textes dans des phylactères contraints, « Temples de bois et de feuilles, pluie de verdure… Les oiseaux », « La sève n’est plus collante mais liquide comme le sang ». Le sang aussi, colle.
Premier réflexe du béotien, retrouver des références plus ou moins connues et digérées, à l’instar d’Aki Kuroda, ou de Pierre Alechinsky. Mais bien sûr, c’est peine perdue. Il me faut être plus malin. Peintre et poète, double voyant. Deux boules de cristal, les lignes des deux mains, deux tarots, l’un de Marseille, l’autre Cyberpunk 2077. Non… trop facile. Faites vous-même vos idées à propos de ce travail.
A l’issue de la discussion, nous venons à parler d’Alexandro Jodorowski que Rebelle(s) a eu l’occasion d’interviewer. Devant sa mine stupéfaite, j’apprends de Matteo que c’est Poesia sin fin, « Poésie sans fin » qui est son film préféré. Nous concluons cette première rencontre et, me voyant m’éloigner, il lance malicieux : « Je me sens comme sur le quai de la gare Saint-Charles ! »
Ne vous précipitez pas voir l’expo, elle ne durait que quatre jours au cœur de l’été. Par contre, le 5 novembre prochain, Matteo Vergnes participera avec d’autres artistes à une performance picturale et sonore dans le cadre de l’événement « EGON. A » qui aura lieu à l’Espace X-Skills, 27-29 rue de la Fraternité en la bonne ville de Bagnolet, 93170. Nous nous y retrouverons.