Le Pape François est-il vraiment le mieux placé pour être le médiateur providentiel qui mettra fin aux atrocités de la guerre ? C’est en tous cas ce qu’il croit. Début juillet, le souverain Pontife a déclaré son intention de voyager vers l’Est, pour rencontrer Zelensky à Kiev mais seulement après un passage au Kremlin. L’idée n’est pas de lui, mais de celui qui œuvre en coulisse depuis des mois pour que cela se produise, le chef de l’Union Mondiale des Vieux Croyants[1], le moscovite Leonid Sevastianov.
Sevastianov croit fermement que le Vatican est le seul état suffisamment neutre pour pouvoir prétendre à une position de médiateur efficace. L’ONU ayant échoué, comme toutes les autres instances internationales où siège la Russie, le Pape resterait le seul capable de faire fléchir Poutine. Sevastianov a l’oreille du chef du Vatican, mais il a aussi, tant que faire se peut, celle du Kremlin. Il agit en sous-main depuis des mois pour faire que cette rencontre se produise, et face à lui, les réactions ne sont pas égales.
Du côté du ministère des Affaires étrangères russe, comme du côté de l’administration présidentielle au Kremlin, on trouve des échos plutôt favorables. Tout le monde là-bas n’est pas Medvedev, l’ancien libéral reconvertit à la surenchère guerrière, même si le soutien sans faille à « l’opération militaire spéciale » (la guerre) est de mise.
Mais du côté du FSB (nouveau KGB) et des militaires, l’opposition à ce mouvement diplomatique vaticanesque est farouche. Est-ce le signe qu’il pourrait être efficace ? Il serait bien présomptueux de répondre à cette question. Mais il est certain que les partisans de la guerre ne veulent rien entendre ou recevoir de cette main tendue.
L’autre opposant à cette rencontre, encore plus féroce et farouche que les précédents, c’est le Patriarche Kirill. Kirill sait qu’il a tout à y perdre. Lui qui a pris position avec force pour soutenir la guerre, et a même élevé cette dernière au rang de guerre métaphysique entre un occident décadent et une Russie gardienne du Monde Chrétien, voit d’un très mauvais œil toute tentative du Pape de venir interférer sur le territoire du Patriarcat de Moscou. Pensez-vous ! Le Pape pourrait déplacer des foules là où Kirill ne déplace que sa mitre[2]. Et s’il obtenait le moindre progrès dans la situation de la guerre contre l’Ukraine, ce serait un si cruel désaveu pour le Patriarche que ses perspectives d’avenir se réduiraient comme peau de chagrin.
Kirill est un ancien agent du KGB, et très certainement un actuel agent du FSB. Il sait agir dans l’ombre, et il s’active actuellement (nous disent nos sources bien renseignées) pour saper les efforts de Sevastianov, qui fut pourtant son ancien collègue (pour ne pas dire camarade, car si Kirill fut un soviétique exemplaire, Sevastianov lui est issu d’une famille de dissidents) quand Leonid occupait le poste de directeur de la Fondation St-Grégoire le Théologien à Moscou, une fondation créée par Kirill et son ex-numéro 2 le métropolite Hilarion.
Hilarion lui-même est d’ailleurs passé de numéro 2 à pas de numéro récemment, démis de ses fonctions de président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou pour être envoyé officier à la tête du petit diocèse de Hongrie. Certains avancent qu’il était opposé à la guerre et en a fait les frais, d’autres que Kirill avait peur de son influence grandissante et voulait s’en débarrasser, tandis que d’autres encore y voient un moyen de lui permettre d’exercer une influence pour défendre les intérêts de la Russie dans le seul pays de l’Union Européenne qui peut être considéré comme pro-russe.
Leonid Sevastianov, lui, ne se laisse pas démonter. Il continue contre vents et marées à pousser pour que la rencontre entre le chef du Vatican et le chef du Kremlin ait lieu. Quand il parle de Kirill, c’est pour dire très ouvertement que son soutien à la guerre relève de l’hérésie. Risqué, mais cela le place dans une position intéressante vis-à-vis de ceux qui croient encore à une solution diplomatique.
Si l’on peut douter de l’efficacité d’une telle visite pontificale quant à son influence sur la guerre menée par les Russes en Ukraine, on peut aussi se rappeler le banal adage : « Qui ne tente rien n’a rien ». Go Sevastianov, go !
[1]Les vieux croyants sont des chrétiens orthodoxes orientaux qui maintiennent les pratiques liturgiques et rituelles de l’Église orthodoxe russe telles qu’elles étaient avant les réformes du patriarche Nikon de Moscou entre 1652 et 1666.
[2]La mitre est un couvre-chef religieux de forme arrondie, fermée, sans bord, et s’élève en hémisphère.