Comme d’habitude, la sortie du dernier roman de Michel Houellebecq a monopolisé l’ensemble des critiques et commentaires de la planète livre. Comme d’habitude, les uns crient au génie, alors que d’autres sont plus circonspects sur l’œuvre ou sur le personnage. La relecture de l’essai que lui a consacré l’économiste Bernard Maris quelques mois avant d’être assassiné lors de l’attentat de Charlie-Hebdo, permet de prendre un peu de distance avec ces vaines batailles et d’élargir le spectre de la perception courante de l’œuvre et de l’auteur ; elle confirme par ailleurs l’originalité et l’iconoclastie de l’économiste. Celui-ci considère que le Prix Goncourt 2010 est le grand romancier de la main de fer du marché et du capitalisme à l’agonie : « il parle de compétition, de destruction créatrice, de productivité, de travail parasitaire et de travail utile, d’argent, de bien d’autres choses, et il en parle mieux que les économistes, car il est écrivain ». L’auteur suggère même que « lisant cet aspect économique de Michel Houellebecq (…) vous saurez que la glu qui freine vos pas, vous amollit, vous empêche de bouger et vous rend si triste et si tristement minable, est de nature économique ». Il alimente son analyse par une lecture attentive de l’ensemble des œuvres du romancier. Il trouve par exemple que « La carte et le territoire » est « un grand roman d’amour (…), mais aussi une fine analyse du travail, de l’art, de la création de la valeur, du progrès, de l’industrie et de la destruction créatrice chère au grand économiste Joseph Schumpeter ». Il relève aussi le jugement peu amène prononcé par l’écrivain à propos de l’entreprise : « L’entreprise où travaille le héros d’« Extension du domaine de la lutte », informaticien, a donc développé une culture d’entreprise. Ce n’est pas exactement un oxymore, mais une expression un peu vulgaire, déplaisante, malpropre presque ». L’essai regorge d’exemples et de citations qui confirment que les héros houellebecquiens incarnent parfaitement les incohérences et les errements d’une société menée par l’économie. La réflexion proposée par le romancier réjouit l’économiste, car « ce que des économistes et des psycho-sociologues abstrus cherchent en vain à tirer de notre vie pour nous le restituer à grandes pelletées de théorie et de chiffres, en nous faisant mastiquer à longueur de débat de radio et de télé ce qui ressemble à de la sciure de bois mélangée à de la cendre, Houellebecq nous l’offre sous la forme délicieuse d’un roman ou d’un poème ».