Pour comprendre ce qui va suivre, il est nécessaire de commencer par quelques données sur l’actuel traitement des religions par le Parti Communiste Chinois dans la Chine de Xi Jinping. Ces dernières années, la persécution des religions en Chine a atteint un paroxysme qu’elle n’avait pas connu depuis la révolution Culturelle sous Mao.
Il existe trois types de religions en Chine. Tout d’abord, les religions « autorisées ». Il s’agit de versions chinoises de l’Église Catholique, des Églises protestantes, du bouddhisme, de l’Islam et du Taoïsme. Elles sont autorisées dans un contexte de sinisation[1], c’est-à-dire que leurs dirigeants sont nommés par le Parti, elles doivent obéir au Parti, et sont soumises à des régulations drastiques, comme le fait d’arborer un drapeau du Parti sur leurs édifices ou de prêcher en faveur des valeurs du Parti Communiste Chinois (PCC).
A côté de cela, existent les religions qu’on a longtemps qualifiées de « tolérées ». Il s’agit principalement « d’Églises de Maison », qui sont des églises protestantes dont les dirigeants ne sont pas nommés par le Parti, et d’autres branches des 5 religions décrites ci-dessus qui ont pu par le passé être « tolérées ».De nos jours, ces religions ne sont plus tolérées, et chaque semaine des édifices religieux sont détruits, des pasteurs ou des moines arrêtés, etc. Sans parler du million de Ouighours[2] qui aujourd’hui sont enfermés dans des camps de « rééducation », afin d’extirper de leur mental les croyances et traditions ancestrales de l’Islam avec lesquelles ils vivent depuis des siècles.
Puis il existe les xie jiao, connus dans les documents officiels chinois en anglais sous le nom de « sectes » ou « sectes maléfiques ». Il s’agit là d’une fausse traduction puisque le véritable sens est « enseignement hétérodoxe ». Ce terme remonte à l’époque Ming (1368-1644) et depuis cette époque, des listes de xie jiao ont vus le jour, pour définir les groupes religieux à détruire parce qu’on imagine qu’ils menacent le pouvoir en place. Par exemple, le christianisme dans son ensemble a été classé comme un xie jiao en 1725, mais a été retiré de la liste en 1842, en raison de la pression politique et militaire occidentale.
Aujourd’hui les xie jiao les plus connus sont le Falun Gong, et l’Église de Dieu Tout Puissant, qui compte environ 4 millions de membres en Chine. Les membres de ces deux mouvements subissent les pires persécutions, et en faire partie est passible de 7 ans de prison. Pour justifier ses exactions à leur encontre, le Parti Communiste organise des campagnes de Fake News régulières, nationales mais aussi internationales, qui heureusement sont régulièrement débusquées par un certain nombre d’universitaires occidentaux. Des récompenses sont offertes en Chine à ceux qui fournissent à la police les noms des membres de xie jiao, et des informations qui conduisent à leur arrestation. Des dizaines de milliers de ces membres de xie jiao croupissent aujourd’hui en prison, des milliers ont été torturés, et un grand nombre y ont perdu la vie depuis le début du 21e siècle.
Voici maintenant quelques exemples d’utilisation des nouvelles technologies dans ce contexte de persécution religieuse par le PCC[3] :
Des jeux en ligne pour promouvoir la peur
Le 20 mars 2019, le PCC a lancé un jeu en ligne sur l’ensemble du territoire, un quizz dont le thème est « boycotte les xie jiao et révère la science ». Les joueurs en ligne sont en compétition les uns avec les autres et ceux qui au fil du temps répondent le mieux au quizz se voient remettre des enveloppes de cash. Un mois après son lancement, plus de 11 millions de personnes avaient participé à la compétition. Certaines entreprises liées au Parti obligent leurs employés à jouer à ce jeu. Exemple de questions posées dans le quizz : Si quelqu’un distribue des éléments promotionnels pour un xie jiao, que faites-vous ? La bonne réponse (au milieu de 3 autres possibilités) est simple : « ne l’acceptez pas et appelez la police ». Est-ce que le fait d’être désigné comme un xie-jiao peut être contesté par un avocat devant une juridiction ? La réponse est non, comme vous vous en êtes doutés. Bien entendu, toutes vos réponses sont enregistrées par le Parti.
Des apps pour surveiller et contrôler la population
Au Xinjiang, terre des Ouighours, les rues sont équipées de caméras avec système de reconnaissance faciale. Mais récemment de nouvelles apps pour smartphones ont fait leur apparition. La police demande aux habitants de se connecter sur ces applications via leurs smartphones, et d’entrer un certain nombre de données comme leurs noms et adresse, leur profession, leur appartenance religieuse, leur numéro de passeport et de permis de conduire, leur groupe sanguin, des photos de tout l’intérieur de leur habitation, des photos de tous les ordinateurs dans la maison, des données sur leur famille, etc. Cette application est directement reliée à la plateforme gouvernementale des « opérations conjointes intégrées ». Toutes les données sont accessibles aux autorités, et le smartphone sert aussi de GPS pour que la police puisse vous localiser à tout instant.
Des délégués à la surveillance religieuse dans chaque village
Dans le Henan[4], à la demande du PCC, sont formés dans chaque village des « assistants » dont le travail consiste à surveiller et à collecter des informations sur toutes personne ayant des activités religieuses dans le village. Ces données collectées sont partagées en temps réel avec les autorités, par l’intermédiaire d’une application dédiée qui les transmet directement sur la « plateforme des affaires religieuses » de la province. Les « assistants » doivent rapidement informer les plus hautes autorités de tous les lieux de réunions cultuelles non officiels. Ils doivent également procéder à des inspections hebdomadaires des lieux de culte sanctionnés par l’État et soumettre des rapports avec photos et vidéos. Ils sont également tenus d’inspecter les lieux de rendez-vous chrétiens le dimanche et les lieux de culte islamiques le vendredi. Pour les sites bouddhistes et taoïstes, des inspections doivent être effectuées les premier et 15e jours de chaque mois, les jours fériés, lors des foires des temples et d’autres dates importantes. Bien entendu toute personne suspectée d’être membre d’un xie jiao doit être immédiatement dénoncée à la police. Les « assistants » doivent envoyer des photos et des vidéos de ce qu’ils remarquent.
Contrôle facial aux entrées
A nouveau dans le Xinjiang, le Bureau de Sécurité Publique d’une localité dans la province de Jiangxi a mis en place 195 caméras dans des zones résidentielles. Si vous habitez ces zones, pour rentrer chez vous vous devez, à l’entrée des zones résidentielles, vous soumettre à une reconnaissance faciale devant ces caméras. Mais vous devez bien sûr aussi faire de même si vous êtes un visiteur invité. Et si le système ne vous reconnait pas, vous devez aussi scanner votre carte d’identité, afin d’y être enregistré. Ce système s’étend maintenant dans le reste de la Chine. Idem si vous voulez entrer dans une église ou une mosquée, même si celles-ci font partie des religions « autorisées ». Vous devez maintenant dans plusieurs localités scanner vos empreintes digitales et votre visage avant d’être autorisé à entrer dans le lieu de culte.
Chine 2021
Ces quelques exemples dévoilent un peu de ce qui se passe aujourd’hui dans la Chine de Xi Jinping. Cet usage des nouvelles technologies pour contrôler la population et identifier tous ceux qui pourraient être des « dissidents », ne concerne cependant pas que les religions. Les systèmes de reconnaissance faciale sont légions dans le pays. Des applications existent pour s’assurer que les membres du Parti lisent et apprennent par cœur chaque jour les discours de Jinping. S’ils ne restent pas suffisamment longtemps sur les pages des discours officiels, l’application le sait, et l’enregistre. Des sanctions peuvent être prises pour manque d’assiduité devant l’écran de l’application. Et impossible de tricher, l’application reconnait les mouvements de yeux et peut remarquer si la page est ouverte mais que votre regard est ailleurs. Il est probable que si Georges Orwell était encore vivant, il aurait intitulé la suite de son roman 1984 : « Chine 2021 ». Ça n’aurait pas été un roman d’anticipation cette fois.
[1] Sinisation : Action de rendre chinois. A l’origine, il s’agit des politiques introduites par les autorités de Pékin pour persuader et, si nécessaire, contraindre les minorités ethniques et linguistiques non-Han, telles que les Miao ou les Ouïghours, à adopter la culture, la langue et les coutumes chinoises. Le concept, sinon le nom, remonte au Moyen Age.
[2] Peuple turcophone et musulman sunnite habitant la région autonome ouïghoure du Xinjiang (ancien Turkestan oriental) en Chine et en Asie centrale. Ils représentent une des cinquante-six nationalités reconnues officiellement par la république populaire de Chine.
[3] De nombreux autres exemples peuvent être trouvés sur le magazine en ligne Bitter Winter (https://bitterwinter.org/), le magazine sur la liberté de religion et les droits de l’homme en Chine le plus réputé et surtout le plus documenté.
[4] Le Henan est une province du centre-est de la Chine.