Se réclamer d’un manque, c’est suspect. Ça fait penser aux produits qu’on trouve dans les rayons de supermarchés, se proclamant sans sucre ajouté mais généralement d’un prix supérieur à celui des originaux. Autre variante : « Avec 25 % de sel en moins », comme le jambon. Et 10 % plus cher. Faire plus avec moins est furieusement tendance. Rebelle(s) – « Le bimestriel hors-sujet » – se lancerait-il donc dans la Grande Conso, comme on dit dans les écoles de commerce ?
Un journal sans journaliste, est-ce un gage de qualité ?
Si nous revendiquons notre état – avéré – de non-journalistes, nous ne nous réclamons pas pour autant du non-journalisme. Ayant trop de respect pour le journalisme, nous ne pouvons qu’essayer d’en approcher l’essence. Avec une allumette, en rebelles que nous sommes.
Entendons-nous bien. Partir en reportage en Syrie pour témoigner sous les bombes de la misère de nos contemporains et ramener des informations de première main, nous ne le ferions pas. Sans aller jusque là, couvrir une manif contre le mariage gay quand on est homosexuelle militante et s’y faire taper dessus, nous ne le ferions pas non plus. Pas parce que nous ne sommes pas homosexuels, ou du moins pas encore. Non, tout simplement parce que nous n’avons pas les tripes pour ça. Tout le monde ne s’appelle pas Caroline Fourest, journaliste s’il en est, au-delà de sa posture de militante. Nous parlons bien de la démarche, qu’elles que soient les idées, que nous les partagions ou pas. Avec de telles références en tête, nous restons cependant lucides et à notre place, si ce n’est modestes.
Si témoigner au milieu des fâcheux, c’est du journalisme, inviter Patrick Balkany à un « débat » télévisé, est-ce du journalisme ? La réponse est dans la question. Ce n’est pas du journalisme. Il ne vous aura sans doute pas échappé qu’après 25 ans de poursuites en pointillés, ledit Balkany venait d’être condamné par une prompte Justice. En sixième ou vingtième instance, on s’y perd. Dernièrement sur une chaîne du PAF, le condamné-mais-cependant-libre Balkany retrouvait avec bonheur sa condition de vedette entourée. Interrogeant l’invité avec beaucoup de prévenance, les journalistes « donnez-moi la rhubarbe je vous passerai le séné » étaient en joie (le scoop, coco !). Le spectacle de leur mines gourmées faisait plaisir à voir. Dans leurs sourires de quinquas satisfaits on sentait le bonus de salaire à venir. Leur ventre savourait à l’avance la petite commission. Dans ces temps difficiles pour la presse, le succès, ça soulage.
Rebelle(s) se réclame du journalisme
Qu’est-ce qu’un journaliste qui ne fait pas de journalisme ? C’est un communiquant, un publicitaire, un vendeur d’audience, un VRP du PAF. Pas un journaliste mais un serveur de soupe. Ce n’est donc pas la carte de presse qui fait le moine. A Rebelle(s), nous n’avons pas la carte de presse. Nous ne sommes pas moines. Cependant, Rebelle(s) se réclame du journalisme. C’est assez simple, en fait. Nous écrivons dans un journal. Nous sommes indépendants. Nous réfléchissons avant d’écrire. Ce que nous défendons est ce que nous pensons. Ce que nous dénonçons est ce qui nous révolte.
Parce qu’il y a encore des révoltés sincères et réfléchis. Sincère, ce n’est pas suffisant, mon beau-frère est sincère. Réfléchi, ce n’est pas assez, les hôtes de Balkany réfléchissent. Mais plus à leur prochain achat de résidence secondaire à l’île de Ré qu’à ceux qui les regardent ou qui les lisent.
Alors, à Rebelle(s), tous des donneurs de leçons ? Oui, après tout. Assumons. Même si devant l’estrade de nos éditoriaux, il n’y a pas beaucoup de monde.