Nous sommes en présence d’un petit livre étonnant, composé par un jeune poète lycéen, visiblement très épris de la langue française et de sa richesse infinie. L’auteur se l’approprie avec gourmandise et talent.
« Situ » – son titre est le nom du personnage féminin qui relie et anime l’ensemble – oscille entre un récit poétique énigmatique, ramifié, et un recueil de séquences éclectiques mystérieuses. Nous suivons en lisant une cavalcade des vers chamarrés et chatoyant de mille couleurs, entremêlant les mots et syntaxe de la langue dans tous ses états : du vieux français au français moderne, faisant appel parfois à son élégance classique ou à quelques accents rimbaldiens. L’alexandrin cadencé côtoie des passages plus libres ou irréguliers dans leur rythme, comme pour imiter la respiration tantôt saccadée, tantôt apaisée de l’héroïne et mieux accompagner son parcours.
Situ est une jeune odalisque, pourchassée, en fuite éperdue depuis son sérail jusqu’aux portes de la mort, qui peut-être finalement la libère. Elle fuit, enceinte de son enfant – cet autre qu’[elle]-même – l’esclavage et le désamour, sa famille et sa prison, la cruauté lâche des hommes et la soumission des femmes, pourtant ses soeurs. Je souffre cent mille hommes et d’autant plus de dames…
Situ apparaît et se métamorphose, tour à tour, dans son errance de fugitive traquée, en amante passionnée et désespérée, future mère inquiète, hurlante souveraine aux riches chants d’amour, orante, ou encore animal sauvage, louve archaïque et ardente. Sa peine originelle se mue en haine et lui procure sa force. La voix qui nous parle change d’identité au fil des poèmes-chapitres, lyrique ou narrative, selon le point de vue adopté. L’auteur use de tous les stratagèmes pour nous entraîner dans son univers multiple et nous y égarer parfois, pour qu’on se laisse juste porter par le torrent des images. L’héroïne trouve la mort au terme de sa fuite, mais reste clairvoyante : Il faut être lucide quand on est malheureuse.