Lu dans la nuit.
Quand on enterre les morts dans les fosses communes
ou des recoins de jardins si on a le temps,
pourquoi écrire encore ?
Pour conjurer la peur,
veiller à rester droit,
supposer l’aube à naître,
tenir une parole
qui n’abdique jamais
et garder intact le seul désir d’aimer.
On aura compris que ce beau livre en livrée ivoire des éditions du Nouvel Athanor ne pouvait qu’être présent dans notre dossier ” Au secours ! “.
Au secours, la poésie ; au secours, le poète ; au secours, les mots de si peu de poids. Combien pèse un mot de beauté et de bonté ? Combien pèse un livre à bout de bras ? Combien pèse un poète sur sa balance le matin dans la lumière crue d’une salle de bain ? Encore éclairée, encore chaude, avec son silence qui n’est pas souillé des bruits de bombes, des éclatements des obus, des cris des soudards. Des hurlements des pauvres gens.
Le poète Joël Mansa dédie son livre à Vladimir Poutine, auteur (auteur !) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Il faut bien dans cette flaque de sang mêlée de boue faire preuve de férocité, celle du poète minuscule qui convoque le tsar immense devant le tribunal des honnêtes gens. Comme Robert Desnos, de ses ténèbres, appelant les fossoyeurs, les assassins, les bourreaux .
Sont là dans les poèmes d’infinie fragilité – « Pourquoi écrire encore ? », nous écrit Joël Mansa – les jardins, le sommeil, les orchidées, l’estampe, la panthère nébuleuse, les geais dans les coudraies ; comme sont là aussi Kiev, Boutcha, les morts, les fantômes.
Dans sa belle préface, le poète Jean-Luc Maxence écrit : « Détruire notre vie est possible. On le sait. Si toute colère est mauvaise, il s’agit de la même prière qui sème ses images suppliantes et salvatrices. Le travail de poète est un patient voyage ».
La beauté, sitôt menacée. Infiniment fragiles, éternellement recommencés, les chardons bleus. Les chardons bleus triompheront des égorgeurs.