Dix ans. 7 janvier 2015.
Dix ans déjà que le ciel tomba sur la tête des gaulois que nous sommes. Dix ans que les journalistes de Charlie Hebdo tombaient eux aussi, pour notre liberté, pour la tolérance et le droit à l’impertinence.
Le 11 janvier plus de 4 millions de français marchaient en soutien, en mémoire, en hommage. Pour dire : « Nous sommes là, contre la barbarie, contre l’obscurantisme, et nous ne céderons pas. Á la peur, à la haine. »
Malgré tout, il s’en trouvait quelques-uns (les professionnels du « mais ») qui disaient, écrivaient que Charlie n’aurait pas dû, vous comprenez, le respect du à une religion, bla bla bla . Ceux-ci sont toujours là et pour eux toute critique d’un certain islam est de l’islamophobie, donc du racisme pur et simple. Nous sommes dans le temps des offensés qui en tant que tels croient pouvoir, devoir dicter notre attitude.
Il y eut pourtant le Bataclan, les terrasses, le 14 juillet à Nice, Samuel Paty, Dominique Bernard, d’autres encore. Ils n’ont toujours pas compris.
Dix ans plus tard, il faut bien le dire, nous avons cédé. Á la peur tout d’abord. De plus en plus de journalistes, de professeurs surveillent leur propos et s’autocensurent. Si on peut les comprendre on peut également se désoler. Qui est Charlie ? Sommes-nous encore Charlie ? Peut-être que oui mais nous n’entendons plus que les autres. Où est cet esprit qui dit : « Merde ! Et merde encore et je vous emmerde ! » ?
Nous avons ensuite cédé à la haine…de nous-mêmes. Nous ne nous supportons plus. Le débat public a disparu. Ne reste que les insultes, les rejets, les mises en demeure.
Quid de ce qui fut un temps une tarte à la crème (mais j’aime bien cette crème), à savoir le vivre ensemble ? Il a volé en éclat. Nous sommes dans le règne de la détestation, voire de la haine. Quand j’entends les échanges politiques, que je lis ou entends les tribunes et même des conversations privées, je suis consterné. Reviens Charlie ! ils sont devenus fous, nous sommes devenus fous! Je ne parle pas du journal qui lui est encore là, et comment ! Je parle de ce Charlie collectif que j’avais espéré pérenne.
Les islamistes, et ils l’ont dit, écrit, publié, sont en guerre contre nous…et pendant ce temps, nous sommes en guerre contre nous-mêmes. Ils doivent se frotter les mains.
Le 13 janvier 2015, à l’assemblée, quelqu’un parlait ainsi: « …avec le peuple français, nous avons dit – et avec quelle force – notre unité. Et Paris était la capitale universelle de la liberté et de la tolérance. » et plus loin : « Eh bien moi je ne veux plus que dans notre pays il y ait des Juifs qui puissent avoir peur. Et je ne veux pas qu’il y ait des Musulmans qui aient honte parce que la République, elle est fraternelle, elle est généreuse, elle est là pour accueillir chacun. » Cet homme était acclamé par l’assemblée debout, toutes tendances confondues.
Cet homme, c’était Manuel Valls, alors premier ministre.
On est en droit de ne pas l’apprécier, de le contredire, de le combattre (Charlie l’a fait), mais entendre un auditeur (qui confond humour et insulte) le traiter d’étron sur France Inter est juste écœurant. Il serait parait-il un traître. Ce vocabulaire est un vocabulaire de guerre, d’affrontement permanent. Si guerre il y a, elle est contre les terroristes, pas contre nos hommes politiques, sinon les extrémistes ont gagné. Et même les journalistes de Charlie, pourtant caustiques, doivent se retourner dans leur tombe.
Nous devons faire bloc, quelles que soient nos antagonismes, nos différences.
Être Charlie c’est aussi cela, nous retrouver dans des valeurs joyeuses, irrespectueuses et impertinentes mais tolérantes, taper fort, être paillards ensemble dans une bonne humeur vivante et dépourvue de haine. Charlie a toujours défendu la démocratie et pourfendu la bêtise et les extrêmes (et il y a du boulot!).
Soyons Charlie encore, soyons Charlie toujours. Faisons front, faisons bloc ensemble car la démocratie est à nouveau en danger. Oui nous sommes en désaccord sur beaucoup de choses mais en ces temps difficiles trouvons notre plus petit dénominateur commun, tout en riant les uns des autres, en nous moquant sans haine et sans exclusive, dans l’irrévérence joyeuse.
Que vive Charlie !