Mercredi 20 février 2019, 20h30, Maurepas.
– Allo, Taraneh ?
– Salam Arash, je suis content de t’entendre. Vous avez enfin eu vos cartes SIM ?
– Oui, enfin. Cela a pris plus de temps que prévu, mais grâce à Dieu, c’est bon. On les a maintenant. Comment vas-tu ?
– C’est compliqué… Pas au siège de Renault, ça se passe très bien là-bas. Les collègues français et les autres sont tous très gentils. Nous avons été très bien accueillis, les gens sont aux petits soins pour nous.
– Oui, c’est pareil ici au Technocentre. Et quelle modernité ! Le bâtiment est magnifique, quant aux équipements et aux infrastructures, je ne t’en parle même pas. Ils sont forts ces Français, on voit qu’ici tout est travaillé sur plan. Je suis admiratif. Si on avait cette organisation en Iran…
– Je te crois. À Boulogne c’est très moderne aussi. On a de gros moyens pour travailler. Non, ce qui est difficile, ce sont les à-côtés.
– Ah oui, ça, je ne te le fais pas dire. Je suis avec quelques collègues de Pars, et on a tous le même type de logement : tout petit et assez insalubre.
– Je me doutais de ce que tu allais me dire. Ici nous sommes une cinquantaine d’Iraniens. Et nous sommes tous très mal logés. Moi par exemple, je vis dans un minuscule studio, à peine équipé. J’ai l’impression d’être en cage. Je tourne en rond. Et je suis à plus d’une heure en transport du bureau.
– M’en parle pas. Je n’en peux plus de ces bus. Mais dis-moi, tu penses que c’est provisoire ? Nous hésitons à aller voir la direction des ressources humaines, on veut d’abord être sûrs de ne pas être une exception, tu comprends ?
– Oui, je vous comprends. Nous avons déjà été contactés par les collègues ex-Pars du Plessis Robinson parce que certains sont dans des logements vraiment catastrophiques. Et tous se demandent comment ils vont pouvoir recevoir leurs familles dans de telles conditions. Ils sont vraiment très inquiets, et nous aussi.
– Il faut faire quelque chose Taraneh, on ne peut pas se laisser traiter comme ça.
– Tout à fait. Nous avons demandé à être reçus la semaine prochaine, personne ne pouvait nous voir avant. On s’organise. Je serai le porte-voix. Tout le monde pense que si c’est une femme, cela peut mieux se passer. Et j’ai des notions de français, ce qui n’est pas le cas des autres.
– Et tu leur parles quand exactement la semaine prochaine ?
– Lundi matin, à 11h00. On s’appellera le soir si tu veux.
– Ok, je veux bien. Je t’aurai bien proposé de nous voir à Paris pour diner, mais je suis encore un peu frileux pour sortir, même en taxi.
– Je comprends, moi c’est pareil. Sois patient Arash, Dieu est avec nous, il faut être fort. Bonne soirée mon ami.
– Merci, bonne soirée.
*
Lundi 25 février 2019, 21h30, Maurepas.
Arash arrivait enfin à bout des escaliers qui le menaient à son studio. L’ascenseur était en panne depuis trois jours. Essoufflé, il chercha ses clés dans les poches de sa sacoche, puis il poussa la porte de son logement. Chaque fois, cette odeur de tabac froid l’accueillait, à peine était-il entré dans l’appartement. Il ôta ses chaussures pour ne pas salir son petit intérieur, puis changea de vêtement. Il le faisait systématiquement après être arrivé chez lui. Ces longs trajets en bus lui donnaient le sentiment d’arriver sale. Mais malheureusement, ses vêtements prenaient de plus en plus l’odeur âcre des murs du studio. Pour ne pas trop déprimer, il se parfumait ensuite à l’eau de rose. Il se servit un grand verre d’eau, puis saisit son smartphone. Il envoya un sms à Taraneh : « Salaam, arrivé ! ». Il se dirigea ensuite vers son petit frigo pour voir ce qu’il pouvait se faire à manger. Il sortit des feuilles de vignes farcies au riz, quelques tomates cerises, et une boite de thon entamée la veille. Son smartphone vibra : « Salaam, tu m’appelles ? ». A la lecture de ce message, son cœur se mit à battre très fort dans sa poitrine. Il savait que cet appel serait décisif pour la suite. Il prit une grande inspiration, et composa le numéro de son amie.
– Allo ? Salaam Taraneh. Comment vas-tu ma sœur ?
– Salaam Arash, ma santé est bonne. Et toi, la tienne ?
– Je vais bien, répondit-il en tentant de dissimuler un tremblement de sa voix. Aujourd’hui, j’ai appris à mon voisin de bureau le salut iranien. Nos trois accolades. C’était très drôle. Il s’appelle Jean François. C’est un pied noir, tu sais ce que c’est ?
– Un pied noir ? Non, qu’est-ce que ça veut dire un pied noir ?
– C’est un Français né en Algérie, avant l’Indépendance. Ceux qui sont rentrés de force après avoir vécu là-bas. Il m’a dit que nos trois accolades iraniennes lui rappelaient son enfance en Algérie. Lui il n’est plus tout jeune. Mais c’était rigolo de le voir faire. Et toi, ta journée ?
– Et bien comme tu le sais, on a demandé des explications aux responsables des ressources humaines, sur nos conditions de logement notamment. Et les nouvelles que je t’apporte ce soir ne sont pas bonnes.
Le cœur d’Arash devint intenable.
– Vas-y, dis-moi, je t’écoute, balbutia-t-il.
– Nous avons été reçus par la DRH, madame Thullier, une femme froide et très brutale dans son attitude. Elle s’est adressée à nous comme à des indigènes, comme à des sauvages. Elle nous a à peine écoutés. En gros, ce qu’elle nous dit, c’est que si nous ne sommes pas contents, nous pouvons prendre l’avion en sens inverse et retourner en Iran, que rien ne nous oblige à rester ici. Pour elle, ils ont tenu leur engagement de nous loger. Elle me dit qu’il n’y avait que 110 places initialement prévues, mais que Renault a déjà fait un grand geste en acceptant 4 personnes de plus, et que cela a un coût. Selon elle, 114, ce n’est pas 110.
Arash resta silencieux. Ses mains tremblaient.
– On a aussi demandé quand nos familles pourraient venir nous retrouver. Là, elle nous a annoncés qu’un accord avait été trouvé avec l’ambassade de France à Téhéran. Qu’en tout, des visas équivalents à six semaines par an allaient être distribués, mais pas avant le mois d’août.
– Pardon ? Six semaines par an ? Et pas avant août ? Mais ce n’est pas possible ! s’emporta Arash.
– Je t’assure par Allah que c’est la stricte vérité. J’ai protesté en disant que cela n’était pas suffisant, que j’étais une mère comme elle, que j’avais besoin de voir mes enfants et mon mari, mais cette femme n’a aucun cœur. Elle m’a répété que l’aéroport était à moins d’une heure, si je voulais retourner en Iran, elle ne me retiendrait pas. Ce sont ses mots.
Il y eut un long silence.
– Je suis désolée Arash, je ne sais quoi te dire de plus.
– Ne sois pas désolée, tu n’es pas responsable, je suis sûr que tu as fait ce que tu as pu. Je vais raccrocher Taraneh. Je suis très fatigué. Bonne soirée.
Arash resta un moment immobile. Mille et une pensées virent se percuter dans sa tête. Comme pour les chasser, il se passa les mains sur le visage avec insistance, encore interdit par ce qu’il venait d’entendre, et bousculé par les nombreuses conséquences que cela allait engendrer pour lui, pour sa femme, pour ses enfants, pour ses parents. Il regarda son minable appartement, en réalisant qu’il serait possiblement là pour encore un long moment.
*
Samedi 15 juin 2019, plage de Bacvice, Split, Croatie.
Arash et sa femme Narges marchaient pieds nus sur le sable, chauffé pa le soleil de midi. Leur fils Mostafa, un jeune adolescent très charpenté pour son âge, se tenait quelques mètres en retrait. Il savait reconnaitre quand le torchon brulait entre ses parents, bien que ceux-ci mettaient beaucoup de pudeur dans leurs discussions.
– Arash, pour l’amour du Ciel, il faut que tu retrouves la raison. On ne peut pas continuer comme ça pendant encore un an et demi, dit Narges en chuchotant, pour que leur fils n’entende pas. Tu es en train de dépérir. Regarde-toi. Combien de kilos as-tu perdu ?
– Ce n’est pas comme ça que l’on doit regarder la situation, sur mes kilos perdus. On était d’accord tous les deux, non ? Je n’ai pas pris cette décision tout seul.
– Ce n’est pas ce que je dis. Mais entre ce qu’ils nous ont vendu et la réalité, il y a un monde ! Toi-même tu me le dis souvent au téléphone, tu étouffes dans ton clapier. Et tu vas finir par craquer de fatigue.
– Je sais, je sais tout ça. Je devrais peut-être moins me plaindre quand je te parle, je vois que cela t’inquiète encore plus …
– Arrête Arash. Ce n’est pas ce que je dis. Regarde… Regarde où nous sommes. Obligés de nous retrouver en Croatie. Un des rares pays qui nous permette de nous revoir après des mois de séparation, sans attendre de recevoir un hypothétique visa. L’ambassade de France tarde à traiter nos demandes, tu le sais bien. Ils se moquent bien des promesses de Renault. Si on n’avait pas eu cette solution Croate, on se serait revu quand ?
Arash savait que sa femme avait raison. Les Français les avaient floués, c’était un fait. Il s’arrêta de marcher, et il prit les mains de Narges. Leur fils resta à l’écart, et tourna la tête.
– Que veux-tu que je fasse ? Dis-le-moi. Tu veux que je rentre ? Que je laisse tout tomber maintenant ? Après des mois de calvaire ? Cette nouvelle vie qui nous tend les bras ? Carlos Ghosn va…
– Oh arrête avec ton Carlos Ghosn ! Il ne fera rien pour toi. Il est en prison. Tu comprends ? En prison.
Arash baissa la tête. Narges posa ses mains sur son visage.
– Peut-être que oui. Peut-être que ce serait le bon choix. Tu me manques, tu manques à ton fils. Arash, est-ce que cela en vaut vraiment la peine ?
– Tu sais, je vais te dire. Je pense que, ni notre fils, ni nous, n’avons un avenir en Iran. La France, ça reste un beau projet pour nous tous. J’ai eu une idée : et si je scolarisais Mostafa à Paris, et que tu venais toi aussi ? S’il va à l’école et que tu trouves un travail toi aussi, alors nous serons réunis, et nous pourrons acheter une belle maison.
Narges le regarda fixement. Elle était consciente que ce que lui disait son mari ne pourrait jamais se réaliser. Une maison en France…. Elle avait eu l’administration de l’ambassade des dizaines de fois, elle avait bien compris que jamais ils n’auraient de visas pour s’installer à Paris. Elle entoura Arash de ses bras, et colla sa tête contre sa poitrine.
– La France t’a fait tourner la tête mon mari, chuchota-t-elle. Elle regarda la mer. Les mains d’Arash se posèrent sur son dos. Elle sentit leur chaleur à travers ses vêtements.
– Et rester ici, en Croatie, qu’en dis-tu ? dit-elle d’un air moqueur. Arash sourit en retour. Puis il dit :
– Non Narges, ce sera la France, ou rien, je ne veux pas avoir perdu cinq kilos pour lâcher maintenant.
*
Dimanche 9 février 2020, 22h43.
Salaam Arash, mon courageux époux,
J’espère que ce mail te trouvera en bonne santé Inch’Allah. Je ne pouvais pas t’appeler sur whatsapp ce soir, je ne suis pas à la maison. J’ai dû aller à l’hôpital Aban.
Arash, ton père est malade. Il s’est mis à tousser violemment à s’en étouffer, et quand je me suis approchée de lui, il était brûlant. Il a été pris d’une forte fièvre que les médecins n’arrivent pas à expliquer. Tu sais qu’il est déjà très fragile. Mais rassure-toi, il est entre de bonnes mains. Son état est stable. Je t’appellerai demain matin pour te donner des nouvelles. Mais ne sois pas inquiet, ma sœur et moi veillons sur lui. Pense à prier Dieu.
Pour parler de bonnes nouvelles, chez Mostafa, l’idée de suivre sa scolarité en France a fait du chemin. Les deux semaines passées à Paris en septembre, même entassés dans ta cage à poule, lui ont donné envie de se lancer. Et je crois aussi que tu lui manques beaucoup. Cela va bientôt faire un an que tu es parti.
Je t’appelle demain mon cher époux, bonne nuit.
Narges.
*
TF1Info.fr : 25 février 2020 à 18h46
En Iran, le nombre de morts dus au coronavirus poursuit son escalade. A ce jour, il fait état de 15 personnes décédées, tandis que 90 malades ont été recensés. Il s’agit du bilan le plus élevé après la Chine. Parmi ces malades, deux hommes politiques de premier plan ont annoncé avoir été testés positifs au coronavirus. Il s’agit du vice-ministre iranien de la Santé Iraj Harirchi et de Mahmoud Sadégui, un parlementaire réformiste.
C’est au cours d’une conférence de presse donnée à Téhéran lundi 24 février, que le vice-ministre de la Santé est apparu affaibli, fébrile, toussant et s’essuyant le front. Au cours de celle-ci, il avait démenti l’information d’un député selon laquelle cinquante personnes avaient perdu la vie des suites de l’épidémie de pneumonie virale à Qom, une ville sainte du centre du pays d’où le virus est parti en Iran. Il avait promis de démissionner si ce chiffre était confirmé.
*
Vendredi 13 mars 2020, 8h30, Technocentre Renault de Guyancourt.
Taraneh arriva avec ses collègues français sur le site de Guyancourt. Il y avait une présentation au Technocentre à laquelle elle devait assister. Immédiatement, elle fut frappée par les dimensions hors normes du bâtiment qui allait l’accueillir pour la journée.
Son groupe de cadres semblait connaitre le chemin, elle suivit sans rien dire. A l’accueil, une jeune femme en tailleur leur présenta des badges visiteurs. Taraneh cherchait Arash des yeux. Elle l’avait averti qu’aujourd’hui exceptionnellement elle serait sur son site. Ils ne s’étaient pas vus depuis des mois.
– Tu sais où est la salle de réunion ? lui demanda une de ses collègues ?
– Oui, oui, mon ami iranien travaille ici, il va me conduire. Partez devant si vous voulez.
– OK, la réunion commence dans quinze minutes. Vous avez le temps de papoter un peu.
– Oui, d’ailleurs le voilà qui arrive.
Arash sortit de l’ascenseur. Taraneh eut du mal à le reconnaitre, tant il avait perdu du poids. Il était très bien habillé, la barbe parfaitement taillée, mais de larges cernes bruns entouraient ses yeux fatigués.
– Taraneh mon amie ! s’écria-t-il. Je suis si content de te revoir !
– Salaam Arash, ce bonheur est partagé. C’est la première fois que je viens ici, j’adore ce lieu, il est grandiose ! Tous ces prototypes dans le hall, c’est très impressionnant.
– Oui, oui c’est vrai, ça m’a fait le même effet le premier jour. Viens, laisse-moi t’offrir un café, qu’on le boive comme au bon vieux temps.
– Le bon vieux temps du pipi de chat ? J’espère qu’il sera meilleur ici ! dit-elle en souriant. Elle suivit son ami jusqu’à une pièce adjacente, où d’autres cols blancs étaient déjà installés.
– Comment vont ton mari et tes filles ?
– Ils vont bien grâce à Dieu. Nous avons passé de bonnes vacances l’année dernière, ils ont adoré Paris. Ma mère les garde la semaine quand Ahmad travaille. Toute une organisation.
– Ta mère va bien ?
– Oui, ça va grâce à Dieu. Et la tienne ?
– Depuis la mort de mon père elle se laisse mourir. Cela fait maintenant plusieurs semaines, je ne suis pas très optimiste. Et il y a ce virus chinois, ça ajoute à l’inquiétude. Mais à entendre nos dirigeants, tout va bien.
– Des arracheurs de dents… On les connait. Et la Chine est un allié. Donc on ne critique pas.
– J’ai peur Taraneh. Tu imagines si c’est une épidémie mondiale qui nous guette ?
– Je ne le pense pas.
– Moi je le pense. Regarde-nous, on est tous entassés dans cette pièce, comme si de rien n’était.
– Il ne faut pas paniquer Arash. Tu n’as pas pensé à rentrer quelques jours en Iran ? Cela te ferait du bien.
– C’est drôle que tu me parles de ça. Narges me l’a demandé aussi. Je pense que je vais rentrer à la fin du mois de mars. Tu sais que Mostafa va être scolarisé ici à la rentrée prochaine ?
– Comment ça ?
– Je pense que nous allons rester ici à la fin des deux ans. Je vais demander à garder l’appartement où je suis actuellement, je le prendrais à ma charge. Juste le temps que Mostafa commence ses cours, et ensuite, je ferai venir Narges, et on cherchera un logement plus digne.
Taraneh buvait son café silencieusement. Elle écoutait et observait son ami. Quelque chose avait changé chez lui.
– Tu sais Arash, personne ne peut dire ce que Renault fera de nous à la fin des deux ans. Personne ne sait ce qu’il va se passer demain avec ce virus. Tu as la force de faire des projets, je trouve cela admirable.
– Renault a toute ma confiance. Je sais que mes managers sont contents de mon travail ici, et je suis sûr que je pourrai rester. Ils m’aideront.
Taraneh regarda sa montre.
– Tu dois déjà y aller ?
– Oui mon ami, mais j’ai été très contente de te revoir. J’espère que tu pourras aller voir Narges et Mostafa à la fin du mois de mars, je pense que cela te ferait le plus grand bien.
– J’irai, c’est promis.
*
Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la mobilisation face à l’épidémie de COVID-19, la guerre sanitaire contre le coronavirus et sur les nouvelles mesures adoptées, Paris, le 16 mars 2020.
Françaises, Français,
Jeudi soir, je me suis adressé à vous pour évoquer la crise sanitaire que traverse notre pays. Jusqu’alors, l’épidémie était peut-être pour certains une idée lointaine, elle est devenue une réalité immédiate, pressante.
Le Gouvernement a pris, comme je vous l’avais annoncé, des dispositions fermes pour freiner la propagation du virus. Les crèches, les écoles, les collèges, les lycées, les universités sont fermées depuis ce jour. Samedi soir, les restaurants, tous les commerces non-essentiels à la vie de la Nation ont également clos leurs portes. Les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits. Jamais la France n’avait dû prendre de telles décisions – évidemment exceptionnelles, évidemment temporaires – en temps de Paix. Elles ont été prises avec ordre, préparation, sur la base de recommandations scientifiques avec un seul objectif : nous protéger face à la propagation du virus.
Arash éteignit sa télévision. Il comprit qu’il n’irait pas en Iran à la fin du mois de mars.
*
Lepoint.fr, Publié le 09/02/2021 à 07h00. Par Armin Arefi
EXCLUSIF. Le tragique destin des salariés iraniens de Renault
ENQUÊTE. 114 employés de la marque en Iran ont été détachés en France à la suite de sanctions américaines. Une opportunité qui s’est transformée en drame humain.
La sonnerie de l’appartement retentit. Derrière la porte, un représentant de Renault a été dépêché en compagnie de l’agent immobilier chargé de signer l’état des lieux. Les protestations du locataire n’y font rien. Arash Allahverdi, développeur business iranien de la marque au losange, doit quitter ce 1er février le domicile qu’il partage avec sa femme et son jeune fils.
« J’avais pourtant écrit une lettre à Renault lui demandant de me laisser rester dans l’appartement à mes frais pour que mon enfant puisse poursuivre sa scolarité en France », se remémore avec douleur ce père de famille de 38 ans.
« Cette entreprise a ruiné ma vie personnelle ».
Une intervention express de son avocat lui accorde finalement un répit. Mais Renault est formel. L’employé devra tôt ou tard rendre son appartement.
*
France Inter, 10 février 2021, revue de presse de Claude Askolovitch.
« On parle de promesses…
Que des employeurs prestigieux tentateurs font à des travailleurs qui ne demandent qu’à les croire, alors on change de vie mais ensuite on déchante, et ce matin la Provence et le site du Point racontent des histoires qui se ressemblent.
Le Point nous parle de Renault qui en 2018 faisait une proposition à ses salariés iraniens, de sa filiale iranienne Renault Pars, frappée par le boycott imposé par les Etats-Unis… Pourquoi ne pas venir en France, travailler pour Renault Nissan, avec des contrats de travailleurs détachés ? Et 114 iraniens quittent donc Renault Pars pour devenir des cols blancs heureux à Boulogne-Billancourt au Plessis-Robinson à Guyancourt… Mais bientôt , ils découvrent que leurs conjoints, leurs familles ne pourront pas les rejoindre, pas plus que six semaines par an, ils découvrent que Renault, qui doit payer leur loyer, n’ira pas au-delà du studio, du une chambre, et voilà que l’ambassade de France à Téhéran refuse aux familles les visas de tourisme qui leur permettraient de retrouver un père un fiancé une épouse et voilà du mépris, « Si vous n’êtes pas contente, alors c’est la fin de votre contrat et vous rentrez en Iran », et puis vient la Covid et l’on meurt en Iran et en France les expatriés tremblent… Je vous laisse lire le Point, la fin est maintenant, les iraniens repartent, recasés chez eux avec des CDD de trois mois aux lendemains incertains, leurs vie ravagées d’avoir cru Renault… ».
***
Epilogue
Renault : un syndicat critique la gestion de salariés iraniens en France
Le Figaro avec AFP, publié le 12/02/2021 à 15h18
Un syndicat de Renault a confirmé vendredi les informations du Point selon lesquelles plusieurs salariés iraniens de Renault transférés en France pendant deux ans accusent l’entreprise de les avoir isolés, leurs familles ayant été empêchées de les rejoindre. A la suite des sanctions américaines sur le nucléaire en 2018, qui interdisait tout échange économique avec l’Iran, Renault avait proposé à certains employés de sa coentreprise sur place d’être détachés en Europe pendant deux ans.
Cent quatorze salariés, des ingénieurs en grande partie, avaient accepté ce contrat de travailleur détaché, signé avec une filiale suisse de l’alliance Renault-Nissan. Renault a indiqué vendredi avoir tenu en octobre 2018 une session d’information « afin que les conditions du package soient présentées aux personnes concernées et qu’ils puissent faire leur choix en connaissance de cause ». Il prévoyait un logement sur place pour l’employé et une enveloppe pour permettre des allers-retours vers le pays d’origine.
Dans l’enquête du Point, sous couvert de l’anonymat, trois de ces salariés accusent Renault de ne les avoir informés qu’à leur arrivée en France, en février 2019, que leur famille ne pourrait les rejoindre que six semaines par an, avec un visa touriste. Deux d’entre eux ont été aidés par le CFDT, a indiqué à l’AFP Franck Daoût, délégué syndical central chez Renault. Dans cette affaire, « l’entreprise ne prend pas ses responsabilités », a souligné M. Daoût. « Quand on sort des gens de leur pays pour venir travailler en France, il faut assumer. C’est léger quand on parle de responsabilité sociale de l’entreprise ».
L’un des deux salariés aidés par la CFDT a souhaité rester en France « à la fin de son contrat en essayant de reprendre des études pour avoir un statut étudiant » et « a réussi à faire venir sa famille » en France. Le deuxième, « un ingénieur avec un CDI », avait une famille restée en Iran qu’il faisait venir pour les vacances dans un pays d’Europe de l’Est vers lequel il était plus facile de voyager. C’était une situation « intenable », selon le syndicaliste : il a quitté Renault mais est resté en France.
De plus en plus utilisé au niveau européen, le statut de travailleur détaché n’implique pas de conditions expresses pour la famille du salarié : elles doivent être négociées avec l’employeur. Alors que ces deux ans de contrat touchent à leur fin, la plupart des salariés détachés en France sont rentrés en Iran. Un de ceux qui est resté en France envisage une procédure, selon Le Point. En Iran, aucun constructeur étranger n’a repris ses activités, les sanctions internationales étant toujours en cours. La joint-venture Renault Pars a loué son siège à Téhéran, selon l’agence officielle de l’autorité judiciaire en Iran. Seul un étage a été laissé à un petit nombre d’employés de la coentreprise locale, Renault Pars. Celle-ci a proposé aux salariés rentrant de France un CDD de trois mois avec un accompagnement à la recherche d’emploi, indique Renault.