Ovaine, un crayon X à la bouche, compte tout ce qui n’est pas – pour une thèse à la Faculté des Vérités Factices.
Entre deux choses qui sont, elle patiente, l’air de rien – et hop ! chope un pet de bactérie, un postillon d’incertitude, une goutte de mort.
Elle frétille de la calculette, recense avec frénésie, redonne sens au mini fretin : une somme de plusieurs milliards de centaines de feuilles (portée par une tribu d’Indiens exterminés).
Au moment de soutenir sa thèse devant un jury Composté de Comtes Incontinents, Ovaine apparaît à travers les quatre murs à la fois, coiffée du lustre de la voûte.
Sans aucune retenue, elle balance son volume dans l’œil épouvantable du Rectum de l’Adversité.
Son œuvre achevée, Ovaine se retire imperceptiblement – mais comblée, car elle compte pour du beurre noir.
***
Promue, Ovaine décide de se rendre dans un restaurant astronomique hyperétoilé.
– Un carpaccio de cervelle dans sa crétinette flambée au marcassin, puis une daube de roubignolles fouettées aux éclats de riz, enfin une nage de plancton givré servie sur son lit de guêpes asiatiques, s’il vous plait.
Après cette piquante planture, Ovaine, la guipure des plus boursoufflées, demande l’addition. Plume en personne se pointe, une note pharaonique sur un plateau vermicellé de sucre d’or.
– J’ai pas becté tout ça, dites-donc ! Fauti que j’vous mette du plomb dans l’cervelat ?
– Fort de la connaissance du contelet qui précède, et pour vous être agréable, nous avons additionné tout ce que vous n’avez pas commandé.
Alors Ovaine, plus enflée qu’un ballon d’hydrogène, explose de tout ce qu’elle n’a pas mangé à la figure de Plume qui se met prestement à réécrire l’histoire par le menu.
Ovaine entre chez LVMH, le très luxueux Local de Ventes de la Misère Humaine.
– Je voudrais un gilet jaune, véhème-t-elle.
– Voici notre dernier modèle gothique, avec poches de sang, incrustations de mains, d’yeux et de dents. Les fragments de mâchoires sont en option.
– Mettez-m’en un stère, à la hache.
– Cela coûte un bras, jojo…
Ovaine longuement réfléchit, se tâte, atermoie et, dans un grand éternuement, s’exécute.
Saisissant son bras à pleines mains, elle l’envoie valser dans la réserve pour dévaliser le stock.
Vendeuse et retoucheuse, effarées par l’émotion, retiennent au passage deux gilets jaunes par la manche.
Ovaine s’arrache fissa de la boutique et, magnanime, ferme les yeux sur son larcin.
***
Ovaine, c’est décidé, se lance dans la grève de la fin : elle durera jusqu’à ce que mort s’en suive.
À l’heure où blanchit le campagnol, elle s’enfuit dans le bois rejoindre son loup, immensément pelé pour mieux avaler la lumière, qu’il dit.
Même la nuit il brille, si fort qu’on lui voit tout l’intérieur. On dirait le monde ; et Ovaine se reconnait, penchée sur l’estomac de l’univers :
– Je suis là, je suis là !
Parfois le monde s’échoue sur une grève ; il s’éteint quelques siècles qui semblent une seconde. Et Ovaine disparaît.
Puis le loup se rallume, pour s’en mettre plein la lampe.
À trois secondes près, Ovaine, trotteuse erratique, se retrouve face au Delta du Nihil.
Mille bois flottés font comme de petits bras morts.
Ils viennent du lointain naufrage d’un trois-mâts aux grandes voiles vierges.
À sa vue, ils s’aussitôt dressent vers le ciel, lancent des rondelles de saucisson, harissa, hourra, des coins de biscottes rassis et puis des éclabousses.
Ovaine ruisselle de toutes ses forces et les gouttelettes deviennent des escarboucles.
Elle veut bien trinquer avec eux entre leurs bras.
***
Dans son labo nocturne, Ovaine concocte une souche de cauchemar inoffensif.
À minuit, s’extripe d’une pipette une chocotte que d’une chiquenaude elle envoie coucher dehors, en guise de test.
V’là la chocotte qui s’en revient, livide, bras tendus et qui baille à s’en décrocher le hachoir.
Ovaine, émue, l’accouche sur une lamelle pour derechef l’observer au crimoscope.
Oh, oh, la souche résiste au sommeil grâce à une poche transparente où flotte un tout petit effroi.
Au bistouri – âme sans cible s’abstenir – Ovaine va pratiquer la première épouvantectomie.
Ovaine (par inadvertance) croise un clown qui tient précieusement dans sa main sa mâchoire.
– Je me la suis décrochée parce que je me moque de faire rire.
C’est alors que surgit de sa concession un mort de rire de s’être gondolé avec les vers de terre.
Le clown ne mâche pas ses mots : – Risible, va, c’est plus de ton âge de te fendre, t’es hachesse !
Et le mort, piqué au vif, de recompter ses annuités : son droit à mourir de rire expire à perpétuité. Et toc !
Ovaine en appelle à Homo Rictus, qui de sa grotte sort en s’esclaffant : – Rira bien qui rira le dernier.
***
Depuis qu’elle est en pétard, Ovaine pète au moindre choc. Ça sent le roussi.
Tous ses ovnis crépitent. Même son loup tique, c’est vous dire.
La situation est tendue. Le cafard grouille. Le soleil n’y va pas de main morte et la police darde à donf.
Les virus attrapent la maladie de l’homme et la secouent dans tous les sens… mais rien, ah si : le rire est autorisé les jours impairs.
Ovaine, donc, explosera à minuit si une rançon de 1 sou symbolique n’est pas versée sur le compte à rebours de ses visions.
6, 5, 4, 3, 2, 1…
Tristan Felix