Ce qui aurait dû être
Né au début des années 60 en Jamaïque, le reggae était un genre musical totalement inconnu dans le reste du monde au début des années 70. Si, par le plus grand des hasards, un disque de cette musique arrivait en Occident, on devait le trouver dans un bac à disques à l’écart, à côté des portes de sortie de secours chez le disquaire. Le bac en question devait être dénommé “Musiques du Monde” ou “Musique ethnique”.
Quant à la religion qui lui est indubitablement liée, le rastafarisme, elle n’avait des adeptes que dans certains ghettos de Jamaïque. Bref, tout ça ne devrait figurer à l’heure actuelle qu’en quelques lignes dans une encyclopédie fouillée en 20 volumes.
Ce qui est
Ce n’est pas du tout ce que nous constatons à notre époque. Le reggae est un genre prisé de par le monde et il faut vraiment éprouver un total désintérêt pour la spiritualité pour ne pas connaitre au moins les noms rastafarisme et rasta. De là à comprendre ce que ces deux noms signifient vraiment, me direz-vous, il y a un fossé large comme le Canyon du Colorado. Mais la compréhension de cette religion est un élément clé dans la compréhension du reggae, même si tous les acteurs du reggae n’étaient pas des rastas, loin s’en faut.
Le rastafarisme
Le rastafarisme est une religion fascinante, qu’on y adhère ou pas, et dont le mythe fondateur est un épisode de la Bible Hébraïque : l’union du roi d’Israël Salomon et de la reine de Saba, dont le royaume s’étendait aux alentours de l’Ethiopie, selon la tradition. De cette union est né un fils, Ménélik, qui est le premier d’une longue dynastie régnante d’Ethiopie qui s’éteindra avec l’assassinat en 1975 de l’empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié qui, pour les rastas, est le Messie de notre époque, leur Messie.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’est le rastafarisme et ce qu’il prêche, sur qui sont les rastas (les vrais je veux dire, je ne parle évidemment pas des occidentaux qui ont juste adopté le look sans avoir une quelconque compréhension spirituelle de cette religion). Je ne saurais trop vous conseiller la lecture du livre d’Hélène Lee, Le Premier Rasta, pour en savoir plus.
Pour rester dans l’objet immédiat de cet article, il nous faut savoir, outre les deux paragraphes précédents, que le rastafarisme est né au début des années 30 en Jamaïque, initié par Marcus Garvey, un jamaïcain émigré aux Etats Unis dans les années 20 et qui a prédit le retour des anciens esclaves à la Terre Promise, l’Afrique. Il est ensuite popularisé sur place en Jamaïque par Leonard Percival Howell qui fonda la première communauté rasta, le Pinacle. Le couronnement de Hailé Selassié en 1930 est perçu par Howell comme étant l’accomplissement de la prophétie de Garvey dans les années 20. A la fin des années 50, le Pinacle est détruit par la police et les rastas se répandent dans l’île, principalement à Kingston.
L’arrivée du Messie sur la terre des rastas
Pour finir, Hailé Sélassié effectue une visite officielle en Jamaïque en avril 1966. La foule qui l’accueille est immense et enthousiaste, la police est débordée. Qu’on s’imagine fictivement une visite officielle de Jésus Christ dans la Rome du IVème siècle et aura une bonne idée de la ferveur populaire. Dans cette foule, une rasta nommée Alpharita, qu’on connait mieux à notre époque sous le nom de Rita Marley, femme de Bob, croit voir sur les mains d’Hailé Sélassié les stigmates du Christ. Son mari, Bob Marley, se convertit au rastafarisme la même année. Il est curieux de constater qu’Hailé Sélassié n’a jamais adhéré au rastafarisme mais ça n’a en rien altéré la foi des rastas dans le fait qu’il était leur Messie. D’ailleurs, l’un des symboles les plus forts de cette religion est l’ancien drapeau d’Ethiopie, avec les couleurs vert (la terre et l’espoir), jaune (la paix et l’harmonie), rouge (la force) et une représentation du Lion de Juda (le Roi des rois de la Bible Hébraïque).
Tout ceci pour dire que pas mal de musiciens de reggae, ceux qui sont rastas, ne sont pas des stars travaillant à leur propre gloire, ce sont plutôt de sincères croyants en train de mener à bien une évangélisation. Et je ne crois pas que Rita, Bob, Bunny Wailer ou Peter Tosh me contrediraient. Qu’on soit d’accord ou pas, qu’on trouve ça ridicule ou pas, c’est par cette optique religieuse qu’il faut comprendre et appréhender la majeure partie du reggae. On n’est pas en présence d’une musique “exotique” vidée de sa substance pour faire danser les occidentaux dans les clubs Med.
La prochaine fois : Premiers succès et Exodus