Journaliste, auteur d’une cinquante d’ouvrages (plusieurs romans, des essais, des recueils) Gilles Plazy, quatre-vingt un printemps, poursuit une route originale, inscrite dans la lignée surréaliste, à travers diverses plaquettes publiées par de toutes petites maison, parfois auto-éditées. Résidant désormais en Bretagne, l’homme a bien voulu évoquer son travail de création.
Étienne Ruhaud : Pourquoi avez-vous choisi d’auto-éditer le recueil ? Conseilleriez-vous cette démarche à d’autres écrivains ?
Gilles Plazy : Ce n’est qu’un mince livret que j’ai fait imprimer hors commerce à peu d’exemplaires pour le communiquer à quelques amis et relations plus ou moins proches. Il contient les douze premiers poèmes d’un ouvrage qui en compte soixante et pour lequel je n’ai en vue aucun éditeur. L’auto-édition, je l’ai d’abord pratiquée sous la bannière d’une cellule (et non “maison”) d’édition, La Sirène étoilée, devenue ensuite Clé de Douze, avec laquelle j’ai publié d’autres auteurs en tirage restreint. Cela m’a permis de réaliser les livres selon mon désir en assurant la maquette, les illustrations éventuellement et les relatons avec une excellente imprimerie numérique bretonne.
Étienne Ruhaud : Pouvez-vous nous en dire davantage sur le titre ? Le livre s’appelle donc Première élégie de Stankennig ? S’agissait-il, d’abord, de rendre hommage à ce lieu de Cornouaille où vous avez vécu?
Gilles Plazy : J’ai en effet voulu dans un premier temps, en faisant un clin d’œil à Rilke, inscrire l’ouvrage dans le site de Cornouaille où il s’est élaboré au cours de la quinzaine d’années que j’y ai passées. J’ai bouclé l’ouvrage (concocté par brassage, collage, concrétion de textes antérieurs, publiés ou inédits ainsi devenus caduc) au moment où je quittais ce lieu, ainsi me séparant de la Bretagne et de l’océan qui m’étaient chers. Depuis je pense que ce titre n’est pas opportun, mais je n’en ai pas encore trouvé un qui me satisfasse.
Étienne Ruhaud : L’élégie évoque un genre triste. Le poète latin Tibulle parle ainsi de la plaintive élégie. Pourtant, la couverture est illustrée par un jeune bouffon dansant, souriant, coiffé d’un bonnet de clown. N’est-ce pas contradictoire ?
Gilles Plazy : Ironie ici plus que contradiction. J’ai une grande affection pour Rilke, mais je ne m’inscris pas dans sa succession et le bouffon, joker d’un jeu de cartes ancien, marque la distance.
Étienne Ruhaud : Le poème est divisé en douze parties. La maison d’édition, si j’ose dire (puisque le textes est auto-édité, cf. plus haut), s’appelle « Clé de douze ». Cela fait-il sens ? Comment ? Vous déclarez, par ailleurs, qu’il s’agit là de la première des « six élégies ». Or, six, c’est justement la moitié de douze.
Gilles Plazy : Le coup des Elégies m’amusait et j’ai dans un premier temps tenté d’en mettre en forme une dizaine selon l’exemple de Rilke. Je les ai vite trouvées longues et indigestes et je les ai découpées et remontées (je travaille beaucoup en montage, réduction, concentration) jusqu’à obtenir soixante poèmes-paragraphes dont chacun est autonome mais dont l’ensemble me paraît avoir une bonne cohérence.
Étienne Ruhaud : Les images fusent, dans une sorte de maelstrom exubérant, très sensible. Peut-on parler de poésie lyrique ? Ou baroque ? Nous sommes en tous cas loin du haïku !
Gilles Plazy : La mode actuelle du haïku est ridicule parce qu’elle ne tient compte ni de la calligraphie japonaise ni des règles de forme et de thèmes qui en font la spécificité. Élargir le souffle me paraît au contraire nécessaire. Lyrique, baroque, pourquoi pas
Étienne Ruhaud :« … et la vie éclate, grenade des amours, lourd grenat des dahlias de l’automne, joie extasiée de jeunes singes dévorant les géraniums ». Vous citez le poète surréaliste Maurice Blanchard en quatrième de couverture. Vous avez d’ailleurs consacré un essai au Paris surréaliste (éditions Alexandrines, 2016), ainsi que plusieurs livres à Julien Gracq. Plusieurs références affleurent au fil du poème, notamment lorsque vous parlez de « Nadja » ou du « signe ascendant ». Vous sentez-vous (toujours) surréaliste ?
Gilles Plazy : Les mots surréalisme et surréaliste ont perdu de leur sens à force d’être mis aux sauces médiatiques, aussi est-il difficile de s’en draper ou s’en labelliser. D’autres s’y attachent, même en font groupe, ce qui est une bonne façon de se montrer fidèles au mouvement qui a bousculé les fondements de notre culture académique et revitalisé arts et lettres tout en dépassant ces domaines. Je suis incapable de faire partie de quelque groupe que ce soit, mais je peux tout de même dire que, m’étant nourri du surréalisme depuis une cinquantaine d’années, je me sens plutôt surréaliste qu’autre chose. C’est pour cela que j’ai inscrit le nom de Maurice Blanchard sur mon ouvrage (en livre la citation viendrait en épigraphe).
Étienne Ruhaud : Vous reprenez également plusieurs images rimbaldiennes, notamment lorsque vous parlez d’un « opéra fabuleux » (Je devins un opéra fabuleux, in Une saison en enfer). On retrouve aussi le personnage d’Alice, créé par Lewis Carroll. De fait, quels auteurs vous inspirent ?
Gilles Plazy : Nous sommes là dans le champ élargi du surréalisme près de Lautréamont, Breton, Char, et bien d’autres qui me sont chers. Ailleurs je dois beaucoup à Rilke (voir ci-dessus), à Wallace Stevens, à Nelly Sachs, à Aimé Césaire…
Étienne Ruhaud : Les images fusent comme si nous nous trouvions dans une sorte de monologue intérieur. Pratiquez-vous l’écriture automatique ? Au moins lors du « premier jet ».
Gilles Plazy : Ce qui surgit hors de la raison me sollicite sans que je m’en défende, mais je ne suis pas prolixe (hélas ?) en automatisme. Je ne me satisfais pourtant pas des échappées de non-sens qui frisent le délire à usage personnel et il m’importe que ce que j’ai la tentation de proposer à des lecteurs (fussent-ils en petit nombre) porte du sens, même des sens. Aussi ai-je beaucoup travaillé sur des textes plus ou moins spontanés dans l’espoir de poser une juste parole dans une juste forme.
Étienne Ruhaud : Vous avez été journaliste, avez écrit plusieurs romans, des nouvelles. Polygraphe, vous semblez aujourd’hui ne plus vous consacrer qu’à la poésie. Pourquoi ? Souhaiteriez-vous en revenir à d’autres genres ?
Gilles Plazy : J’ai certes beaucoup écrit pour la presse et pour l’édition, mais je n’en retiens pas grand chose, à part quelques ouvrages documentaires à propos d’art ou de littérature. La poésie a été ma préoccupation la plus importante et c’est en elle que j’ai tenté le plus de m’accomplir, toutefois une dizaine d’ouvrages ne m’apparaît plus que comme tas de brouillons parmi lesquels j’ai puisé pour concocter le livre en cours. L’écriture de poèmes en ce qu’elle s’écarte des normes du discours rationnel (qui fonde le sens dans la linéarité) par le jeu magnétique de l’image se situe pour moi au niveau supérieur de l’activité littéraire.
Étienne Ruhaud : Enfin, vous parlez de la « beauté du rêve ». Contrairement donc à ce pourrait laisser supposer le titre, votre écriture est plutôt joyeuse. Pensez-vous que la poésie puisse ré-enchanter le monde ? Qu’elle rende heureux ?
Gilles Plazy : Je ne sais pas si mon écriture est joyeuse. Il me semble qu’elle a son poids de mélancolie, mais je trouverais indécent qu’elle larmoie et il m’importe qu’elle aille de l’avant, qu’elle irradie en ondes positives. Quant aux slogans de quelques-uns qui se haussent du col et se parent du mot “poète” comme d’un ruban de Légion d’Honneur…