Le peintre Laurent de Commines revendique, d’un côté « la dimension littéraire des agencements décoratifs » qu’il met en scène dans ses tableaux à l’encre, et de l’autre la filiation double de Piranèse et de Walt Disney. La présentation d’un de ses livres, Caprices du Siècle, nous annonce clairement la couleur – les couleurs – de la nostalgie.
Les œuvres peintes sont au format carré, comme les petits livres de notre enfance aux éditions du Père Castor ; les aventures de « l’ours Michka» dont les arabesques encadrant la couverture étaient les mêmes que les volutes décoratives sur nos balcons en fer forgé des années quarante. L’art de Laurent de Commines, qui fait penser à la bande dessinée sans en relever, n’est pas la « ligne claire » d’un Hergé ou d’un Jacobs. Les motifs ne sont pas entourés du trait noir si caractéristique de l’école belge de bd mais démontrent un semblable intérêt pour la théâtralité des cadrages. Précieuses, rêveuses, ouatées, les miniatures de Laurent de Commines pourraient se retrouver sur des médaillons pendus aux cous des belles, ou de celles qui le furent, avant que l’âge calme et doux ne vienne les enchâsser dans les ors de la mélancolie.
Atmosphères nocturnes, peu de bleu mais plutôt le noir profond de la nuit étoilée qui contraste avec la lumière crue des intérieurs. Hitchcock cherchait à se débarrasser du bleu Technicolor des scènes de nuit, le bleu roi qu’il détestait. Il ajoutait un filtre vert pour « obtenir un bleu foncé, un bleu ardoise, un bleu gris, comme une nuit réelle. » On retrouve ces teintes chez Laurent de Commines, comme dans son « atelier aux chimères » de Viollet-le-Duc. Etrangeté, l’éclairage ne vient que de l’extérieur, émanant d’une pleine lune pourtant invisible « à l’écran ». Prodiges d’un art d’artifices absolus puisque sortis de l’imagination du peintre qui aurait pu travailler avec Carné sur les plateaux des studios de Joinville, entre un Trauner et un Alekan. Mais là, en couleurs ; et quelles couleurs ! Goût prononcé pour les mauves, les violets, l’indigo, le vert Véronèse, les multiples verts des taffetas, des velours, des arbres au sein des tableaux dans les tableaux. En opposition complémentaire, les bruns rouges, les orangés.
Les palais servant d’écrin, les objets d’art, peintures, sculptures, sont agencés minutieusement à la manière d’une collection de Mario Praz. Rappelant les extravagances du bal masqué chez les Sanford dans La main au collet d’Hitchcock – encore lui – ou les fêtes costumées par Jacques Fath, les palanquins sont rayés, les dais festonnés, les tentures bouillonnent au-dessus des tapis et des carrelages. Présence obsessionnelle des draperies, au point qu’on se demande si les scènes représentées sont bien celles d’ateliers d’artistes revendiqués par le peintre ou bien un théâtre aux rideaux et passementeries obligés. À moins que, plus prosaïquement, l’on y rêve d’une penderie à la Mariano Fortuny du Palazzo Pesaro Orfei, ou d’une alcôve de la Malmaison. Joséphine et Bonaparte…
La palette est infiniment nuancée, apparaissant homogène d’un tableau à l’autre malgré la variété des époques illustrées. Cela viendrait-il du kaléidoscope voulu de formes et de couleurs ? Dans chaque carré de tableau, le spectre présente le même équilibre d’intensité lumineuse, une identique candela. La lumière vient du fond du tableau, éclairant en direction du spectateur la perspective dont l’oculus est la frontière ouverte. Au premier plan, l’ombre calme où se réfugie le peintre, protégé par la familiarité et la proximité rassurante des objets aimés ; au second plan, au bout de la ligne de fuite, « le monde », c’est-à-dire les appartements, les architectures ou les paysages d’un lointain intérieur.
Luxe, calme et volupté ; embarquez pour Cythère, plongez-vous dans l’univers souriant et enchanté de Laurent de Commines.
Les tableaux de Laurent de Commines sont visibles de loin en loin, au rythme des expositions à la galerie La Nouvelle Athènes, rue Chaptal, Paris 9ème. Ils sont rassemblés dans deux livres délicieux, au format carré comme il se doit :
Caprices du Siècle – Esthètes et décorateurs du XXème siècle, éditions Gourcuff Gradenigo, 2011
Ateliers d’artistes, d’Hubert Robert à Christian Bérard, éditions Galerie La Nouvelle Athènes, 2021