Fin 1965, commencent les séances d’enregistrement de ce qui deviendra l’un des plus grands albums de Rock de tous les temps, certains disent même le meilleur : Pet Sounds. Elles se termineront en avril 1966, ce qui est totalement inhabituel pour l’époque : 4 mois d’enregistrement !
Des dires de Brian Wilson, le déclic pour le concept de cet album lui est venu par l’écoute de l’album Rubber Soul des Beatles. Impressionné par l’unité de l’ensemble (habituellement, un album était seulement considéré comme une compilation de chansons distinctes et n’ayant pas de rapport entre elles), il eut l’idée d’aller encore plus loin sur cette voie et a déclaré à sa femme : “Je vais faire le meilleur album de Rock de tous les temps”
Beach Boys “Pet Sounds”, La musique
Il va voir les choses en grand pour y arriver. Pendant que les Beach Boys sont en tournée au Japon, il convoque le gratin des musiciens de studio de Californie, réunis en un groupe nommé The Wrecking Crew, et travaille sans relâche, des mois durant, selon une méthode inédite à l’époque. Arrivant chaque matin avec ses notes, il prend le temps de discuter avec chaque musicien pour lui faire comprendre ce qu’il attend et lui demander comment il pourrait faire pour l’atteindre. Il a le plus grand respect pour chacun d’eux. Bien avant la fin de ces mois de séances, le respect et l’admiration seront totalement réciproques.
La proportion d’instruments d’orchestre est écrasante. Il n’a pas l’intention de faire jouer une seule note instrumentale aux membres des Beach Boys, ils poseront juste leurs voix sur une musique déjà terminée, ce qui fera grincer quelques dents. Les arrangements d’orchestre étaient déjà présents sur les précédents morceaux du groupe, mais juste comme une addition, un embellissement. Les pistes de bases étaient jouées par les Beach Boys. Là, tout, absolument tout sera joué par son équipe de musiciens de studio et selon ses directives à lui.
Les paroles
Voulant que tout soit parfait, il cherche et trouve le parfait parolier pour exprimer les thèmes qu’il veut explorer. Tony Asher écrit habituellement pour la publicité mais a le chic pour saisir ce que Brian attend et le retranscrire dans des phrases qui lui vont droit au coeur. Il écrira la plupart des paroles du disque. Ce qui n’était auparavant que suggéré dans la musique des Beach Boys bénéficiera maintenant du Verbe.
Les chansons du disque explorent souvent le thème de l’innocence perdue de l’enfance. C’est un sentiment récurrent dans la vie de Brian Wilson : entre un père tyrannique et une communication difficile avec les autres, son adolescence puis son âge adulte en tant que star n’ont été qu’une source de problèmes et de terreurs pour lui, la nostalgie des joies simples de l’enfance devenant un refuge intérieur pour survivre. Finalement, et même dans les chansons d’amour du disque, on peut avoir l’impression que c’est un enfant de 8 ans qui s’exprime dans un corps d’adulte dont il ne comprend par la vie. On rapprocherait facilement ce sentiment de la nostalgie avec laquelle l’écrivain américain HP Lovecraft parlait de son enfance : “Je n’ai plus jamais joué à ces jeux car ils s’associent pour moi à trop de regrets. La joie fugitive de l’enfance ne peut jamais être ressaisie. L’âge adulte, c’est l’enfer.”
Les morceaux
Tous les morceaux de Pet Sounds sont magnifiques, sans exceptions, mais, pour que l’article ne soit pas trop long, je ne vais en mentionner que quelques-uns.
L’intro de Wouldn’t It Be Nice est vraiment “bizarre”, comme pouvait l’être celle de California Girls. Elle évoque une comptine, comme celles que chantent les très jeunes enfants. Assez brutalement ensuite, commence un morceau typique des Beach Boys avec déluge de voix mais, pour l’époque, l’arrangement de celui-ci pourrait être qualifié de “progressif”. Les paroles décrivent le désir d’un très jeune couple, probablement adolescent, de vivre un jour ensemble, dormir ensemble, être ensemble tout le temps. Là où les chansons d’amour de Wilson décrivaient surtout l’émotion de l’instant présent auparavant, cet instant présent ressenti très fortement pendant l’adolescence, cette chanson projette le couple dans son futur avec un point de vue d’adultes en devenir.
You Still Believe In Me, elle aussi, présente un thème novateur pour le groupe : un jeune homme regarde sa relation amoureuse avec le regard de sa petite amie et lui rend grâce de le supporter tel qu’il est, avec toute son instabilité. On pourrait raisonnablement penser que la femme de Brian à l’époque, Marilyn, a inspiré ce texte. Brian prend tout du long un timbre de voix aux caractéristiques très féminines. Le pont est déchirant de beauté.
Don’t Talk (Put Your Head On My Shoulder) est une chanson sur l’intimité existant entre deux amants, cette intimité qui se passe de mots, et Tony Asher, le parolier, a fait très fort là-dessus, encore une fois. Les paroles sont d’une grande délicatesse et sonnent juste. Une chanson très romantique baignant dans l’intemporalité. La musique n’est pas en reste, par son arrangement fabuleux et sa progression d’accords originale.
God Only Knows : “la plus belle chanson d’amour jamais écrite” disait Paul McCartney, qui en connait un rayon sur le sujet. Pourtant, tout commence étrangement : “Je ne t’aimerai peut être pas pour toujours” ! Quelle curieuse façon de commencer une chanson d’amour ! Une honnêteté déroutante, presque crue. Un effet de style surtout, qui met en valeur la déclaration passionnée qui suit. Tony Asher, le parolier, créé un effet vraiment intéressant sur ce coup-là. La musique n’est pas en reste : la progression d’accords est très, très originale et bouleverse les habitudes de la composition pop. L’arrangement d’orchestre est somptueux et les voix célestes, spécialement dans le canon final.
I Just Wasn’t Made For These Times résume bien le sentiment général de Brian et son malaise : “Je n’étais pas fait pour vivre à notre époque. Je cherche un endroit où je me sentirais à ma place et où je pourrais dire ce que je pense.” Mais chacun de nous a ressenti au moins une fois ceci dans sa vie alors tout le monde peut être touché par ces mots. Pour une fois, il y a six voix en même temps dans un morceau, enveloppantes à souhait. Encore un arrangement d’orchestre fabuleux.
Pet Sounds est un instrumental. Il est totalement justifié de lui faire porter le nom de l’album entier car il pourrait en être une bande annonce, même s’il ne contient pas de voix, car sa texture sonore et son atmosphère sont représentatives.
Good Vibrations est sorti en single et ne fait pas partie du disque mais a été commencé durant les mêmes séances d’enregistrement. C’est l’une des plus célèbres chansons du groupe et la plus longue à réaliser en temps d’enregistrement. De multiples effets sonores ainsi qu’un accompagnement inhabituel de violoncelles ont été délicats à obtenir. La liste des musiciens ayant joué dessus fait plusieurs pages ! Un très gros son pour l’époque et une innovation de taille.
Un jalon fondamental du Rock
Cet album novateur et magnifique, sorti le 18 mai 1966, était probablement en avance sur son temps. Il n’aura qu’un succès relatif sur le coup, sauf en Angleterre, au grand dam de la maison de disques et des autres Beach Boys. Brian Wilson pense lui que cet album est une réussite artistique complète. L’histoire du Rock lui donnera raison. Au fil des décennies, ce disque est devenu un mètre étalon de la réussite artistique pour un album et nombreux sont les grands artistes qui ne jurent que par lui.
La prochaine fois : l’après Pet Sounds