Jean-Luc Martin-Lagardette, journaliste et essayiste, s’est investi dès le début de sa carrière dans les questions de l’éthique et de la qualité journalistiques et a donc engagé aussi une réflexion sur la question des fake news (fausses nouvelles). Cofondateur de “l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse” (APCP). Ancien élève de l’École supérieure de journalisme de Lille, Jean-Luc Martin-Lagardette a été reporter à La Voix du Nord, journaliste à La Gazette des communes (groupe Le Moniteur) et rédacteur en chef de Décision Environnement (groupe Média Publications). Il est également professeur de journalisme et auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme et l’environnement.
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Vous avez été journaliste pour des quotidiens et des magazines et avez enseigné le journalisme et la déontologie. Si je vous dis “fake news”, vous me répondez ?
Vaste programme ! Quand j’ai commencé ma carrière, au milieu des années 70, je m’étonnais que ma profession, dont je prenais le rôle social très au sérieux, ne comportât aucune instance de régulation déontologique. L’entrée dans le journalisme est en effet ouverte à quiconque. Pas besoin de diplôme ni même d’un minimum de formation ! C’est – démocratiquement parlant – une bonne chose car ainsi, tout citoyen peut librement prétendre vivre de la vente d’informations. Le principal fait exigé, pour obtenir la carte de journaliste (d’une durée d’un an renouvelable sous conditions), était (et est toujours) de tirer plus de 50 % de ses revenus d’un salaire versé par un organe de presse. Et aujourd’hui, pour être qualifiée d’organe de presse, une publication (entreprise, association…) doit comporter moins un tiers d’informations dites d’intérêt général (le reste pouvant être de la pub, etc.). Sachant que la Commission de la carte n’a aucune compétence déontologique, rien ne garantit donc au citoyen, hormis l’éventuelle action judiciaire, que les règles éthiques dans l’exercice de la production d’information sont respectées.
Depuis fin 2019 existe le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), une instance de médiation entre les journalistes, les médias, les agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique. (https://cdjm.org/)
Chacun, s’il a à se plaindre de dérives commises par des gens de presse, peut saisir cet organisme indépendant. La question des fake news peut très bien y être traitée, mais uniquement sous l’angle du respect des procédures de fabrication de l’information en lien avec les règles déontologiques.
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Est-ce que vous pensez qu’il y a un réel danger dans les réseaux sociaux et ce que certains appellent les « médias alternatifs », du fait de la pauvreté des vérifications faites quand il s’agit de porter l’information ?
Danger ? Oui, bien sûr. Car chacun peut s’y autoproclamer journaliste sans donner aucune garantie ni d’intérêt général, ni de recherche de vérité. Ses objectifs et ses motivations réels sont encore moins apparents que ceux des grands médias qui ont, eux, certains devoirs légaux de transparence à respecter (même s’ils ne le font pas toujours).
Et la rectification et le droit de réponse sont encore plus difficiles sur les réseaux que dans la presse, ce qui n’est pas peu dire.
En fait, la question de la vérification est largement déficitaire de chaque côté : si elle est souvent indigente sur les réseaux sociaux, les « fact-checkers » des grands médias sont plus attentifs aux erreurs des autres que des leurs propres…
Je note aussi que l’explosion des sites alternatifs d’information a été une excellente chose par la très saine concurrence qu’ils ont instaurée. Ils révèlent parfois des faits et des situations que la « grande presse », acoquinée aux pouvoirs politiques, éco-financiers et idéologiques, prend grand soin d’occulter.
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Quel serait votre idée d’une solution au problème des “fake news»?
Je n’en vois qu’une réellement prometteuse. Que chaque citoyen vérifie et partage mes constats : quiconque informe le fait parce qu’il a INTÉRÊT à le faire ; tout fait, toute information comporte NÉCESSAIREMENT une part d’interprétation ; AUCUNE source (officielle ou non) n’est fiable à cent pour cent ; etc.
Quiconque veut s’assurer de la qualité de ses connaissances, aujourd’hui, DOIT se former à la recherche de la vérité et à ses exigences épistémologiques.
Bien sûr, certaines sources, certains informateurs, sont plus fiables que d’autres. Mais ils sont TOUS susceptibles de se tromper, soit par paresse d’esprit, soit par naïveté, soit par présomption.
Sans compter qu’ils peuvent aussi tromper volontairement (propagande, publicité masquée).
Il est donc vital pour chacun, s’il est soucieux de la santé de son esprit, d’être prudent (je ne dis pas « sceptique ») face à toute allégation, d’où qu’elle vienne ; de mener une démarche active d’écoute et de diversification des sources et de s’éclairer à la lumière de son for intérieur qu’il doit s’habituer à consulter.
> Voir aussi, dans Les Cahiers du journalisme :
Rectificatifs : un journal imaginaire va bien plus loin !