Un rebelle peut bien se rebeller contre ce qu’il veut. Il suffit qu’il ait choisi une cible contre laquelle se rebeller, et le voilà classifié. C’est pourquoi on trouve toutes sortes de rebelles, du rebelle absolu, en guerre contre tout ce qui bouge, au rebelle malin, qui ne choisit que les cibles qui gênent ses intérêts, en passant par le rebelle hautain qui méprise ses congénères, le rebelle idéaliste, le rebelle du dimanche, le rebelle anti-rebelles, le rebelle de foire qui fait son show, le rebelle sur commande qui se fait payer, le rebelle anti-OGM, le rebelle anti-anti-OGM une fois que les OGM sont interdits, le rebelle crasse, le rebelle de luxe, le dandy-rebelle, le prolo-rebelle, le rebelle de gauche, de droite, d’extrême, etc.
Les rebelles face aux fake news
Face aux « fake news », on se rebelle. Mais comment ? Il y a ceux qui se rebellent contre ceux qui sont estampillés complotistes (le complotiste, c’est bien connu, est principal pourvoyeur de fake news). Ceux-là ne jurent que par la science, et par les médias « mainstreams » ou « traditionnels ». Ils méprisent tous ceux qui oseraient dire que les gouvernements mentent, que Big Pharma ment (rien que le fait de prononcer le nom Big Pharma vous fait glisser dangereusement sur la pente du complotisme) ou que les médias traditionnels mentent. Pourtant, bien qu’ils ne mentent pas toujours, il arrive aux gouvernements de mentir, trop souvent. Bien que l’industrie pharmaceutique ne mente pas toujours, il lui arrive de mentir (et certainement plus qu’aux gouvernements, si l’on en croit les nombreux scandales qui ont touché cette industrie, et ne sont certainement que la partie émergée de l’iceberg). Et, croyons-le ou non, il arrive aux médias traditionnels de mentir… Quant à la « science », fausses études, changements de paradigmes et évolutions par suite d’erreurs font qu’on ne peut pas véritablement en faire un dogme absolu.
En face, il y a les rebelles complotistes. Chez eux, tout ce qui vient du gouvernement est mensonge. Tout ce qui vient de la presse est issu de la grande alliance entre le Léviathan gouvernemental et le Satan médiatique. Tout ce qui vient de « la science » est le produit du lobbying effréné de l’industrie pharmaceutique. Pour certains, le vaccin ARN fait de nous des antennes 5G, pour d’autres, la COVID 19 est une grippette dont personne n’est jamais mort.
Au milieu de ces deux groupes de rebelles, on trouve une grande partie de la population qui oscille, ne sachant pas trop s’y retrouver, pas vraiment dupe de l’un ni de l’autre, un peu dupe des deux.
Complotistes sectaires
La tendance mainstream aujourd’hui en France est de classer les complotistes dans la catégorie des « dérives sectaires ». N’y voyez pas un choix scientifique, c’est un choix politique et économique. La mouvance « anti-secte » a toujours eu besoin de cibles et a pour habitude de les choisir faciles, de surfer sur le politiquement correct pour prétendre à son utilité. Elle était en déclin, les subventions gouvernementales chutaient depuis des années, la Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires) risquait de disparaitre, et tout ce petit monde associatif allait se retrouver sans ressources et sans emploi. Les complotistes tombent à pic. Voilà nos militants anti-sectes devenus pourfendeurs de fake news et de complotistes en tous genres, retrouvant ainsi leur utilité aux yeux d’un gouvernement qui peine à se sortir de la crise du coronavirus et se heurte à des rebelles anti-vax ou anti-tout qui plombent la sortie de crise.
On assiste alors à un retour à la vie de la Miviludes, sous l’impulsion de Marlène Schiappa à qui on a confié la Mission. A grand coup d’annonces fortes, Marlène et le ministère de l’Intérieur relancent la lutte contre les dérives sectaires, sans manquer cette fois de s’en prendre aux complotistes et aux fake news, qui d’après eux se sont multipliés comme les pains du Christ pendant les périodes de restrictions liées à la pandémie mondiale.
La Miviludes et les fake news
Pourtant, la Ministre déléguée et le ministère s’égarent eux aussi dans les fake news. En février 2021, la Miviludes rend un rapport au Ministère, rédigé conjointement avec l’Inspection générale de la police nationale, et celle de la gendarmerie nationale. Les annonces sur la sortie de ce rapport « sur les nouvelles tendances des dérives sectaires » sont nombreuses, et à cette occasion Marlène avance que ce nouvel état des lieux permet de savoir qu’il existerait aujourd’hui 500 mouvements sectaires sur le territoire national, 140 000 personnes touchées par le phénomène sectaire dont 90 000 enfants… Constat repris par le communiqué du ministère le 24 février, puis à plusieurs reprises par divers acteurs ministériels, dont la porte-parole Camille Chaize. Pourtant, le rapport remis à la Ministre déléguée ne contient absolument pas de tels chiffres. Bien au contraire, il y est écrit : “Les services de police et de gendarmerie, la MIVILUDES, pour ne citer que ces acteurs, disposent chacun de données, mais il n’y a pas une vue d’ensemble qui permette de quantifier et de mesurer l’ampleur du fait sectaire et son impact au sein de la population française. Les estimations du nombre total de victimes de pratiques sectaires ne reposent pas sur des données solidement établies.”
Dans le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale de 2006, il est relevé la difficulté de recenser le nombre de mineurs touchés. Le chiffre de 100 000 est avancé lors de cette enquête, chiffre que la MIVILUDES n’est pas en mesure de confirmer.
Enfin sur le nombre de 500 mouvements sectaires : Les tentatives de listes de groupes sectaires, en particulier celle du rapport parlementaire « Les sectes en France » de 1996, se sont révélées peu probantes, car les groupes appréhendés étaient classés non pas sur des critères objectifs mais sur le degré d’acceptation sociale du moment. Les critiques se sont logiquement focalisées sur le manque de clarté des critères utilisés, conduisant à la stigmatisation d’associations exemptes de toutes dérives sectaires avérées. Il convient donc de proscrire les argumentations fondées sur cette logique de listes.
De là à penser que les faits, lorsqu’ils ne sont pas vendeurs, doivent céder la place à des « news » plus croustillantes, même si elles doivent être « fake », il n’y a qu’un pas que nous franchissons allègrement.
Casasnovas, ennemi numéro 1
Toujours est-il que l’ennemi numéro 1 en France dans la catégorie complotiste sectaire, c’est un certain Thierry Casasnovas. L’homme aux 524 000 abonnés sur YouTube a fait la une de plusieurs magazines, il est cité à chaque fois qu’on parle des « nouvelles tendances sectaires », et fait aujourd’hui l’objet d’une information judiciaire par un juge d’instruction de Perpignan. Il est présenté comme un adepte et promoteur du jeûne et du crudivorisme, une pratique alimentaire consistant à manger ses aliments crus. On lui reproche d’être très critique de l’industrie pharmaceutique, d’avoir minimisé la dangerosité de la Covid, de s’être opposé aux mesures gouvernementales pour contrer l’épidémie en faisant des émules et de détourner ses afficionados de la « médecine traditionnelle ». Si tout cela semble rester dans le giron de ce qui reste protégé par la liberté d’expression, on dit aussi de lui qu’il met la vie de ses suiveurs en danger, qu’il donne des conseils médicaux complètement farfelus tout en gagnant très bien sa vie par la vente de stages et d’extracteurs de jus, et qu’un adolescent diabétique aurait fini en réanimation après avoir suivi les conseils du YouTubeur et arrêté son traitement à l’insuline. Il n’en fallait pas plus pour que les associations anti-sectes se jettent sur lui, portent plainte et payent un avocat, aux frais du contribuable, pour lui faire sa fête.
Et les pédophiles dans l’Église Catholique ?
Pourtant, l’ennemi public numéro 1, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, et même si tout ce qu’on dit de lui est vrai, a un bien faible palmarès question dérives, si on le compare à d’autres. On peut se demander pourquoi on n’entend jamais la Miviludes et les associations anti-sectes quand il s’agit de la pédophilie dans l’Église catholique. Le rapport Sauvé estime que le nombre de victimes atteint « 330 000 si l’on ajoute les agresseurs laïcs ». Ces chiffres peuvent être discutés, mais nul doute ici qu’on a affaire à une véritable dérive d’ampleur. S’il faut parler de dérives sectaires, si tant est que l’expression ait encore un sens, parlons-en. Des prêtres qui abusent d’enfants pendant des dizaines d’années sans être inquiétés par leur hiérarchie pourtant souvent au courant, ça c’est de la dérive sectaire ! Où sont les constitutions de partie civile des associations comme l’UNADFI (Association de Défense des Familles et de l’Individu victimes de dérives sectaires) et du CCMM (Centre contre les Manipulations Mentales) ? Ou sont les dénonciations quand il s’agit de la radicalisation islamiste et des jeunes qui sont manipulés pour rejoindre les rangs de DAESH ? Non, la « fake news » est une cible plus facile, moins dangereuse, et qui rapporte plus. Pourquoi chercher les ennuis avec des poseurs de bombes quand on peut se farcir des crudivoristes ?
Fake news et politique
La fake news a bon dos, et on aura souvent tendance à la repérer et la dénoncer quand elle s’oppose à nos propres vues. Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais écrivait :
Mais, feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ignore ; d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend ; surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point ; s’enfermer pour tailler les plumes, et paraître profond, quand on n’est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets ; intercepter des lettres ; et tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par l’importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !
Et dans ces histoires de fake news, il n’est question que de politique, qu’on les traque et les pourfende, ou qu’on les dise et les répandent.
Michaël Sens