Dans un monde idéal, s’informer devrait être simple comme bonjour. Des données factuelles, descriptives du monde qui nous entoure, seraient facilement accessibles, disponibles et compréhensibles. Dans ce même monde, débattre aussi devrait être simple comme bonjour. Des structures, physiques ou en ligne, seraient accessibles et pensées de telle façon que des débats rassemblant la pluralité des opinions y auraient lieu. Dans le calme, la sérénité et dans un désaccord fécond en s’accordant toujours sur les faits à défaut de pouvoir toujours s’accorder sur les souhaits. Ce monde idéal n’est pas le nôtre.
LES FAKE-NEWS DÉJÀ CHEZ LES PERES FONDATEURS DES ÉTATS-UNIS
Donald Trump a commencé à tweeter l’expression « fake news » à la fin de 2016, et, sans le vouloir, l’a popularisée. Il a ainsi tweeté sur des « fake news » 73 fois, en se référant à des médias de premier plan tels que le New York Times, le Washington Post ou encore la chaîne de télévision CNN. Il ira même lors de la campagne électorale de 2016, jusqu’à annoncer le soutien du Pape à sa candidature, information démentie et qui échappera à une majorité d’américains. Même s’il en restera l’un des champions les plus addictes et les moins scrupuleux, l’ex-Président américain n’est pas le géniteur de la fake news. Bien avant lui, un autre homme politique américain avait inauguré son usage. Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des États-Unis, a sans doute été l’un des tout premiers auteurs de fake-news, lorsqu’il affirma dans des textes publics que le Royaume-Uni avait payé des Indiens pour scalper des hommes, des femmes et des enfants dans les colonies rebelles. Lors de la campagne présidentielle de 1800, les journaux fédéralistes n’hésitèrent pas à pousser les électeurs à voter pour Thomas Jefferson en publiant des fake-news sur de prétendues malversations de son rival Alexander Hamilton. D’autres cas suivront qui conforteront le rôle ambigu de la presse, y compris dans des affaires très sensibles. L’explosion du cuirassé américain « Le Maine » dans le port de La Havane en 1898 illustre parfaitement ces excès. Alors que la presse savait pertinemment que l’incident était de nature accidentelle, elle a soutenu qu’il était le fait d’une agression cubaine et a appelé à une intervention punitive que Washington finira par exécuter.
Nombre d’observateurs s’interrogent sur le lien qui pourrait exister entre le développement de ces pratiques et le fait que les États-Unis ont été le premier pays au monde à instaurer la liberté de la presse en ratifiant l’inscription, en 1789, d’un « Bill of rights » dans la Constitution…
UNE INFODÉMIE RAMPANTE
Désormais, bien au-delà des États Unis, les fake-news, et leur complice complotiste, font partie du paysage de l’information et de la communication, faisant irruption dans tous les domaines de la vie, collective et individuelle. Cette « infodémie » rampante perturbe tous les équilibres que l’Après-Guerre avait plus ou moins réussi à établir. Il en est ainsi du monde politique où il s’avère que les résultats de certaines campagnes électorales sont manipulés par des experts en fake-news, capables de mobiliser les outils les plus sophistiqués pour diffuser de fausses informations destinées à influencer les électeurs. Il en est ainsi des affaires où les entreprises n’ont plus aucun scrupule à recourir aux mensonges et à d’autres manipulations pour s’attirer les faveurs des autorités publiques, dénigrer leurs concurrents et séduire leurs clients. Il en est ainsi également des échanges qu’entretiennent les individus de plus en plus nourris par des campagnes visant à porter atteinte à la réputation de l’autre, y compris en pratiquant le harcèlement le plus violent, comme en témoignent les plus abjectes « stories » déversées sur les réseaux sociaux.
En quelques années ces pratiques sont passées du statut de manquement à la morale à celui d’ingrédient banal de la vie quotidienne, du mode confidentiel à celui d’universel. Les dégâts sont d’ores et déjà considérables et il ne fait aucun doute qu’ils vont s’amplifier. Les États et les responsables qui se livrent à de telles pratiques font le lit de forces étrangères au respect et au droit humains, souvent autoritaires et dictatoriales, parfois criminelles. Les entreprises qui recourent à ses modes d’action piétinent les principes du commerce et réservent l’accès aux biens et aux services nécessaires à l’existence à des minorités servies par des intervenants guidés par le profit à tout prix. Les individus qui organisent et relaient des campagnes de harcèlement personnel causent des dizaines de milliers de victimes, sans compter celles qui préfèrent subir sans rien dire, atteintes dans leur intégrité affective et intellectuelle ou contraintes à la disparition sociale, voire physique…
INTERNET ABOLIT LES LIMITES
La démocratie et la liberté individuelle sont en grand danger. Mais la lutte contre les fake news est un immense défi. Car l’art de la fake-news n’a cessé de se sophistiquer et de s’amplifier, internet et les réseaux sociaux ayant aboli ses deux dernières limites : le temps et l’espace.
Une équipe de chercheurs du MIT1 qui s’est intéressée aux fake news, précise cependant que l’explosion des fake news n’est pas seulement due aux robots d’internet : « s’il s’agissait juste de robots, nous aurions eu besoin d’une solution technologique »2. Ils rappellent que des propos exagérés existent depuis plus de 300 ans, mais reconnaissent qu’aujourd’hui « les mensonges se répandent plus vite que le vrai, notamment sur Twitter ». En effet, l’écosystème informationnel a profondément changé et dispose désormais d’outils bien plus puissants que les médias d’antan, télévision, presse écrite ou radio, tels que les réseaux sociaux, la presse en ligne, les podcasts, les chaînes vidéos en direct… Les règles du jeu à l’œuvre sur internet (clics, référencements…), ajoutées aux biais cognitifs et aux algorithmes de recommandation, guident les recherches des internautes et interagissent afin de recréer une bulle informationnelle où tout peut être dit et affirmé, sans contrôle. Ainsi s’élabore une rupture invisible et inconsciente vis-à-vis du statut de la vérité ou du vrai et sape la valeur de l’objectivité. Certains experts confirment cette analyse en soulignant « la plus forte croyance des individus dans leur propre point de vue que dans la production scientifique » 3. La multiplication des sources d’information vient concurrencer la parole des experts et installer une démocratisation de la parole où chaque point de vue a la même valeur. Soroush Vosoughi, responsable de l’étude du MIT citée ci-dessus, précise que l’explosion des fake news a « quelque chose à voir aussi avec la nature humaine (…) ; nous devons redéfinir notre écosystème de l’information et engager une nouvelle démarche de recherches interdisciplinaires prenant en compte les pathologies sous-jacentes que cela révèle », ajoutant : « comment peut-on créer un écosystème d’informations et promouvoir la vérité ? » 4.
Certains pensent qu’il sera possible de déjouer la diffusion des fake-news par une attention accrue de la part des réseaux sociaux à contrôler leurs flux d’informations. Mais ce changement de comportements ne suffira sans doute pas. Le défi à relever est en réalité d’inventer une gouvernance qui fait aujourd’hui gravement défaut. Une telle évolution passe par une modification des règles du jeu, acceptée par les joueurs. L’objectif doit être de favoriser les comportements favorables à la circulation optimale de la vérité et de mettre en œuvre des systèmes qui récompensent davantage les comportements favorisant la circulation d’informations vraies. Sans cela, les joueurs sont condamnés à reproduire toujours les mêmes choix et c’est la vérité qui en paiera le lourd tribut.
QUELQUES OUTILS POUR FAIRE LE TRI ENTRE LE VRAI ET LE FAUX
Face à la multiplication des fake news, de nombreux outils de décodage ont fait leur apparition :
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La presse traditionnelle a multiplié les outils de « fact checking » : Les Décodeurs du Monde, Checknews et Désintox TV de Libération, France Télévision s’est récemment dotée d’équipes de « fact checkers » qui interviennent en direct lors de certaines émissions politiques.
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DE FACTO est une plateforme portée par Sciences Po, l’AFP, le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) qui réunit des vérificateurs de faits, « fact-checkers » de médias français tels que l’AFP, 20 Minutes, Libération, Les Surligneurs, Franceinfo… et propose des tutoriels, des analyses et des outils pour aider enseignants, chercheurs et grand public : https://defacto-observatoire.fr/Main/WebHome#une
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Le gouvernement a créé le site « On te manipule » destiné à sensibiliser les internautes à un esprit critique plus développé : https://www.gouvernement.fr/on-te-manipule.
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Parmi les nombreux ouvrages publiés pour aider le consommateur d’informations : « Anti fake news – le livre indispensable pour démêler le vrai du faux », Thomas Huchon, Jean-Bernard Schmidt, Ed. First, février 2022, 192 p., 14,95 €
1 https://news.mit.edu/2018/study-twitter-false-news-travels-faster-true-stories-0308
2 https://www.agenceecofin.com/revue-de-presse/1503-55264-fake-news-les-fausses-nouvelles-sont-plus-originales-et-les-gens-ont-plus-de-chances-de-partager-des-informations-originales
3 Gérald Bronner « Sur Internet, chaque point de vue a la même valeur », Libération, 13 décembre 2018
4 https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2018-4-page-7.htm#no12