La richesse de l’œuvre de Pier Paolo Pasolini (PPP) n’est plus à démontrer et les travaux qui lui sont consacrés sont innombrables. Il est question ici de signaler quelques coups de cœur pour des textes lus ou relus, que nous recommandons vivement et qui témoignent de l’exceptionnelle aventure humaine et intellectuelle d’un des plus grands artistes du vingtième siècle.
Quarante ans après sa disparition, (re)plonger dans l’œuvre de PPP permet de réactualiser l’admiration pour le poète et le cinéaste, le romancier et l’essayiste, mais rappelle aussi les excès et les contra- dictions de ce patriote italien souvent incompris et vilipendé. Insurgé contre l’injustice et la prévarication de son pays, révolté contre les classes dominantes, l’hypocrisie et le conformisme politique, il n’a jamais voulu se taire, pour dire sa vérité. Assassiné en 1975 sur une plage d’Ostie (Italie), dans des conditions encore mal élucidées, il a peut-être payé cette liberté du prix de sa vie.
Celui qui se décrivait, comme il décrivait les jeunes de Vénétie « traversés par l’éclair et pétris d’azur », est donc à lire et à relire sans modération, quels que soient les sujets, les registres et les époques de sa vie où il s’est exprimé.
« La Persécution »
(Ed. Points 2014) : anthologie, bilingue, inédite, de poèmes écrits entre 1954 et 1970. Les textes de Pasolini, anticonformiste notoire, sont ici choisis et traduits pour la première fois en français par René de Ceccatty : « mon choix a été soucieux de donner une image assez exacte de la diversité de l’inspiration de PPP dans la seconde partie de sa vie… Le titre résume l’état d’esprit dans lequel le poète se trouvait souvent, face aux difficultés qu’il rencontrait pour imposer sa conception de la liberté privée, artistique, politique ». Il se sentait persécuté et il l’était… Il s’exprimait alors non seulement pour lui, mais au nom de tous les persécutés aux côtés desquels il menait le combat.
On peut y lire aussi au premier plan, son déchirement entre le mysticisme catholique et la prise de conscience marxiste qui traversent son œuvre.
« Je suis vivant »
(Ed. Nous 2014) : traduction de « Dal Diario » par Olivier Apert et Ivan Messac, postfacée par Leonardo Sciascia. Ce livre de poèmes écrit par Pasolini entre 23 et 25 ans (1945-1947) révèle avec élégance et sobriété la nature violente et réaliste de l’auteur, pour qui Rimbaud a été une révélation. Dans une nostalgie très présente de ce qui a été et ne sera plus, le jeune Pasolini traque déjà, avec clarté et mystère, les signes de la mort. On y retrouve l’arrière-plan familial, fondateur et dramatique, marqué notamment par la présence ineffaçable de sa mère Susana, « la chose la plus importante de ma vie a été ma mère », Casarsa son village natal, la mort de son frère partisan, tué. Et pourtant, comme l’indique la préface : « il suffit une fois du cri d’un enfant pour saisir cette émotion profonde, incomparable, qui se traduit ainsi : « je suis vivant ».
« Alors c’est tout un monde qui renait : monde mythologique des jeux antiques et de l’enfance remémorée ».
« La longue route de sable »
(Ed. Arléa 2014) : traduction de « La lunga strada di sabbia » par Anne Bourguignon. C’est un petit bijou ! En cette fin d’été 1959, Pasolini part de Vintimille, au volant de sa Millecento (la Fiat emblématique de la jeunesse de l’époque), pour rejoindre Trieste par la côte adriatique. De ce périple le long des côtes italiennes il rapporte « la longue route de sable », reportage publié alors par la revue italienne Successo. Le livre ne paraitra qu’en 1998. Il nous fait découvrir à travers des textes courts et magiques, les plages et bords de mer, leurs ambiances, les villes et villages, les paysages splendides, l’atmosphère incomparable d’un pays aimé et l’authenticité vibrante de son peuple. Des pages remplies d’impressions intimes sur la vie, la beauté et la mort. Un voyage singulier et inoubliable : « Je me promène sur la petite plage déserte, au pied du village. Et dans le silence qu’il y a en moi et en dehors de moi, je sens comme un long, un silencieux effondrement. Toute la côte des Pouilles se relâche dans cette quiétude, après s’être déchaînée sous mes yeux, à mes oreilles, pendant des matinées et des après-midi de chaos pré-humain, sous-humain ».
« Saint Paul » (Ed. Nous 2013): traduit par Giovanni Joppolo, préfacé par Alain Badiou. C’est l’étonnant scénario pour un projet de film sur Saint Paul, qui était pour Pasolini une figure tutélaire. Compte tenu des moyens énormes à mobiliser, ce film n’a jamais pu être réalisé. Il s’agissait de transposer le parcours de Saint Paul dans le contexte contemporain, pour dire au spectateur que « Saint Paul est ici, aujourd’hui, parmi nous ».
« La thématique centrale du film se situe donc dans la relation qui s’instaure entre actualité et sainteté ».
« L’inédit de New-York»
(Ed. Arléa 2015): traduit par Anne Bourguignon. Il restitue un entretien inédit de 1969 avec Giuseppe Cardillo, alors Directeur de l’Institut culturel italien à New York, présenté par Luigi Fontanella. C’est avec émotion que l’on découvrira ce texte, où on entend presque la voix de Pasolini nous livrer sans détours ses réflexions, positions et opinions sur la politique, la culture… : « choisir le théâtre, parce que ça ne sera jamais un phénomène de masse, rend parfaitement compte de mon travail ; (…) je sais que la poésie n’est pas un produit de consommation… il y a des choses que le système ne peut ni assimiler, ni digérer. Une de ces choses, je le dis avec force, est la poésie. »
« L’ultima Intervista di Pasolini »
(Ed. Allia 2015) : ultime entretien accordé par Pasolini, réalisé par Colombo et Ferretti, traduit par Hélène Frappat. Il a été publié pour la première fois en 1975 dans le supplément de La Stampa, puis avait reparu en 2005 sous le titre : « Nous sommes tous en danger ». Cet entretien, qui s’est déroulé le 1er novembre 1975, quelques heures avant l’assassinat de Pasolini, est particulièrement poignant car il y parle de son langage, du pouvoir, de ses convictions, de son combat solitaire, de son expression poétique, et cinématographique… Il livre sa vision du monde et dénonce le « cataclysme anthropologique » induit par le consumérisme et le capitalisme. « Seize années de souvenirs » clôturent ce petit opus, dont l’actualité et l’acuité des analyses et des réquisitoires restent troublants.
Sans oublier :
« Poésie en forme de rose »
(Ed. Rivages 2015) : édition bilingue traduite et préfacée par René de Ceccatty. Première traduction intégrale en français, ce live a été publié en 1964, alors que Pasolini était au sommet de sa gloire. Ce recueil fait découvrir aussi un autre ailleurs, un monde au-delà de l’Italie.
« Pasolini, biographie »
(Ed. Gallimard-Folio 2014) par René de Ceccatty. Une vie de génie, d’engagements, de liberté, de courage et de drames. Le destin tragique d’un des plus grands créateurs contemporains.
« Les terrains, Écrits sur le sport »
(Ed. Le temps des cerises, 2012) traduit par Flaviano Pisanelli. Comprendre les transformations sociales et culturelles dans l’Italie des années 60 était au cœur des préoccupations et des engagements de Pasolini. Ce livre original regroupe des articles de journaux, des écrits sur le rôle et la fonction du sport. Ils font découvrir un autre Pasolini, un homme de passions, parmi lesquelles, le football. Une passion qui l’a accompagné jusqu’à sa mort :
« Si vous n’aviez pas eu le cinéma, l’écriture, qu’auriez- vous aimé devenir ? Un bon footballeur. Après la littérature et l’éros, pour moi le football est l’un des plus grands plaisirs » (interview de Pasolini, La Stampa, 4/01/1973).