Je ne suis pas spécialiste de la retraite mais avec mon expérience d’Inspecteur du travail en Seine-et-Marne de 1977 à 1990 et maintenant retraité, j’essaie de comprendre les conséquences possibles de cette nouvelle réforme.
Je me souviens de la loi de 1975 qui, avec la crise, voulait accompagner les vagues de licenciements économiques. C’était au quotidien des paquets de petits et gros licenciements, dont on ne mesurait pas encore l’ampleur des dégâts, car si certains salariés rebondissaient, d’autres “déclassés” dégringolaient sur une pente inéluctable. Pendant cette période les employeurs utilisaient massivement le système pervers des pré-retraites à 58 ans qui a fait basculé les “anciens” dans le chômage. Sur le moment cette “liquidation des anciens” et de leur mémoire est passée inaperçue avec les grandes restructurations en cours. Certaines entreprises malmenées par la crise pouvaient même ajouter dans leurs listes des seniors de 55 ans, parfois moins, avec l’aide de l’état.
Résultat : juste un peu plus de la moitié des seniors sont aujourd’hui en emploi (56 % des personnes de 55 à 64 ans), et 35 % des 60 à 64 ans en emploi en 2021. Ce sont évidemment les seniors, les plus coûteux, les plus vieux, les moins rapides qui étaient visés par ces opérations de dégraissage, c’est à dire la masse des plus de 55 ans usés dans l’industrie, précarisés dans les services. Je n’ai pas oublié à mon arrivée à Melun la pratique mise en place par certaines entreprises licenciant des salariés usés (en équipe 3X8h) qui acceptaient de partir, à condition qu’ils prennent rendez-vous avec l’inspecteur pour dire “je suis d’accord” avec l’administration du travail qui validait leur licenciement économique… dans les années qui suivirent j’ai souvent appris leur décès qui survenait fréquemment dans un délai de deux ou trois ans.
Une question à présent pour les salariés actifs : en travaillant deux années de plus comment imaginer que la pénibilité, l’usure au travail ne contribueront pas à creuser l’important écart d’espérance de vie déjà constaté chez les hommes (13 ans par exemple) entre les plus aisés et les plus modestes ? J’ai hélas connu les dégâts des risques au travail. Je n’oublie pas les mots de mon ministre du travail en 1978 et sa volonté de « briser le rythme infernal des accidents du travail » avec 2000 accidents mortels annuel, sans compter les 100 000 incapacités… ou bien les ravages incalculables créées par l’usage de l’amiante dont les conséquences se perpétuent toujours autour de nous.
Oui, aujourd’hui le travail est encore à l’origine de 650 décès/an. La question de la pénibilité reste entière, les risques psycho-sociaux liés par exemple à la numérisation des tâches ou aux horaires fractionnés, s’amplifient. Sans compter les risques chimiques, la progression des CDD, de l’intérim et l’impitoyable sous-traitance en cascade…
Dans ces conditions comment trouver un sens à son travail, comment avoir le goût et la satisfaction du travail bien fait, comment ne pas décrocher de la société ?
Qui donc va trinquer ? Pas les robots, c’est sûr… mais l’immense majorité des salariés préoccupés par l’avenir de leur retraite et de leur avenir tout court.
Jean-Jacques Guéant
Retraité de l’inspection du travail, cofondateur de la revue littéraire et poétique La Grappe